Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/424

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
L'ILE DE CRETE
SOUVENIRS DE VOYAGE

II.
LES HABITANS : TURCS, GRECS ET SFAKIOTES. — L’ILE DEPUIS LA GUERRE DE L’INDEPENDANCE.

Quand on voit sortir des flots de la Mer-Égée les côtes fuyantes de cette étroite et longue terre qui porte encore son antique nom de Crète, quand, après un premier regard jeté sur l’île, on en parcourt les rivages et qu’on en remonte les vallées, on est frappé des difficultés qu’opposait ici la configuration même du sol à la formation d’un grand état et à la création d’une véritable unité politique. Si, comme nous avons essayé de le faire, on étudie ensuite l’histoire de la Crète ancienne dans les monumens du passé, ce n’est pas sans un secret plaisir que l’on y trouve une éclatante confirmation de ces involontaires conjectures et de ces rapides impressions du premier moment. Nulle part la race grecque, telle qu’elle se présente à nous dans sa liberté primitive, avant la conquête romaine, ne se fixa et ne se répandit sur une terre qui favorisât plus dangereusement un de ses instincts les plus chers et les plus profonds ; nulle part elle ne devait pousser et ne poussa plus loin son attachement à l’autonomie de la cité, son goût pour l’isolement municipal ; nulle part enfin n’apparaissent plus hautement les périls et les inconvéniens de ce système et de cet esprit. Rien ne fait mieux comprendre que l’histoire de la Crète pourquoi Rome devait, un jour ou l’autre, triompher de la Grèce et l’asservir.