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vers le soir du rivage, en aime encore plus à les voir revenir au soleil levant toutes chargées de butin.

Les villages de Newlyn et de Mousehole, si paisibles aux autres heures du jour, se trouvent alors convertis en un marché où règnent le mouvement, le tumulte et l’ardeur commerciale. Une longue file de charrettes s’étend sur la grève : ces voitures, montées sur deux roues et auxquelles sont attachées d’énormes corbeilles vides, connues ici sous le nom de maunds, appartiennent aux jowsters ou hawkers, marchands de poisson. Ces derniers, le fouet à la main, juchés sur les débris de roche ou debout sur les pierres saillantes de la jetée, examinent d’un œil perçant le contenu des barques et hurlent de toute la force de leurs poumons, criant le prix qu’ils veulent donner du poisson, lequel subit sur le marché, comme toutes les autres marchandises, la loi de l’offre et de la demande. Les pêcheurs, chaussés de leurs grosses bottes de mer et recouverts de leurs vestes ou de leurs manteaux imperméables (oil skins, peaux huileuses), s’agitent de leur côté, gravement occupés à ranger les filets et à former les tas de poissons qui miroitent au soleil. Des femmes au dos courbé, chargées d’une hotte appelée cowel, sans doute parce qu’on a cru y reconnaître quelque ressemblance de forme avec le capuchon d’un moine (cowl), portent, des bateaux sur le rivage, des charges énormes de marchandise. Tout ce monde se croise, se pousse, se coudoie avec un grand bruit de paroles, une sorte d’intonation de voix chantante qui est particulière à la Cornouaille. Cependant le dernier bateau pêcheur est arrivé ; la dernière charrette s’éloigne avec le hawker, qui s’en va content en apparence de son marché. Le village retombe alors dans son sommeil habituel, bercé qu’il est par le murmure doux et monotone de la baie. Les poissonnières (fisher-women), allant à pied et étant chargées d’un lourd fardeau, se rencontrent naturellement plus tard que les autres sur la route de Newlyn à Penzance. Elles portaient autrefois un costume caractéristique, un grand chapeau de bergère en feutre noir, une camisole d’indienne peinte de joyeuses couleurs, un gros jupon de bure, un tablier et des souliers à boucle. Ce costume a disparu, il y a une dizaine d’années, avec la reine des poissonnières. Tel est le nom qu’on donnait à une vieille femme très alerte encore, quoique octogénaire, et célèbre pour son attachement aux anciens usages. À l’époque de la première exposition universelle (1851), elle voulut aller à Londres, car elle avait juré de ne point mourir avant d’avoir vu la reine d’Angleterre. Un beau jour donc, elle partit à pied, sa hotte sur le dos, — une poissonnière de Newlyn ne voyage point sans cela, — et, après avoir fait trois cent soixante milles, elle arriva enfin dans la grande cité. Son costume, ses manières originales,