Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nuage d’où s’échappaient des flots de lumière livide. On tend les filets avec méthode de manière à intercepter sur toute la ligne la migration des bancs de pilchards appelés ici schools[1]. Cette tâche terminée, quand la nuit descend avec toutes ses ombres, les pêcheurs allument du feu et font alors leur thé. La position des barques à la surface des vagues se trouve désormais indiquée par la lueur rougeâtre qui s’échappe de leurs petits fourneaux. Ces clartés qui s’élèvent et retombent avec le mouvement de la mer sont d’un effet saisissant ; on aime à retrouver la main de l’homme et ses mœurs domestiques dans les ténèbres qui couvrent la face mobile des eaux. Pendant que la pêche se pratique ainsi au milieu du vent et du ciel noir, les voiles sont ou repliées ou tout à fait abaissées, et les barques se trouvent par conséquent incapables de changer de place à volonté. Qu’arriverait-il si un vaisseau venait alors à passer dans les eaux circonvenues par les lignes frêles et prolongées du drift ? La quille du bâtiment emporterait à coup sur la pêche et les filets. Pour prévenir ce danger, on a recours en pareil cas à un signal. Quand un bateau à vapeur ou tout autre navire s’avance dans la direction des filets, on l’avertit de s’éloigner en allumant une touffe de paille. Vers minuit, on lève les pièges tendus aux poissons ; on détache ces derniers des mailles du drift, où ils se sont accrochés par les branchies ; et, après les avoir recueillis dans un bateau consacré à cet usage, on replonge les filets dans la mer. Les pilchards ne voyagent point seuls ; ils attirent à leur suite une bande de brigands tels que les morues, les merluches et de gros poissons voraces ; appelés ici pollacks. Tous ces maraudeurs ; attaquent volontiers leurs ennemis déjà pris au piège, et bien des fois, en relevant les filets, on a trouvé beaucoup de pilchards à moitié dévorés. Si l’occasion est belle pour les rôdeurs des mers, elle a été aussi mise à profit par les pêcheurs. Ces derniers jettent quelquefois la ligne pendant la nuit autour des filets tendus, et, après avoir amorcé l’hameçon avec un délicat morceau de pilchard, prennent du même coup le tyran et la victime. Il faut d’ailleurs, du courage pour tirer hors de l’eau quelques-uns de ses monstres, par exemple le conger (anguille de mer), qui lutte comme un boa et pousse, assure-t-on, une sorte d’aboiement sourd. Un des pêcheurs de la côte fut saisi à la gorge, il y a quelques années, par un de ces rudes athlètes et ne se délivra qu’en lui ouvrant le cou avec son couteau. La pêche du drift, la drift fishery, est quelquefois très productive ; on a vu jusqu’à 50,000 pilchards pris en une nuit par un seul driving boat. Le matins les pêcheurs retournent à terre, et s’il est curieux de guetter les barques s’éloignant

  1. Corruption du mot anglais shoals, bancs de poissons.