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comme on l’appelait, obéré lui-même et sans crédit, demeurait impuissant à conjurer tant de désastres. Après bien des efforts inutiles, il finit par se décourager, et les montagnards de Ronaldsay apprirent un beau matin qu’ils venaient d’être « vendus » à un riche Anglais. Je ne sais pourquoi, passant de bouche en bouche, ce bruit se dénatura peu à peu ; mais le fait est que « le riche Anglais » devint tout d’abord un « boutiquier de la Cité, » puis, se détériorant toujours, un « marchand de fromage dans Piccadilly. » Ces vains propos aboutirent à l’arrivée d’un petit yacht à vapeur, — qui n’était plus, hélas ! notre cher Pélican, — mais qui n’en amenait pas moins dans ces eaux connues le fils de l’ancien inspecteur des « bas-fonds et sables mouvans. »

Le ministre de la paroisse était accouru au-devant du nouveau propriétaire. C’est avec une véritable surprise et une joie sincère qu’il reconnut Austin dans le « marchand de fromage » annoncé. En lui présentant Eleanor, que Gil Macdonald venait de transporter sur la grève, et qui frissonnait sous les plis de son manteau gris, Austin Elliot lui dit simplement : — Voici ma femme, cher monsieur Monroë ; nous venons vivre et mourir parmi vous. — Gloire et reconnaissance au Seigneur ! répondit le bon ecclésiastique, dont la voix tremblait d’émotion, mon pauvre troupeau désormais ne connaîtra plus la faim !… Notre père a jeté sur nous un regard de clémence.

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C’est presque toujours au moment où nos récits pourraient comporter l’enseignement le plus utile que nous sommes condamnés, par la poétique des temps modernes, à les interrompre brusquement. J’ai pu insister sur les fautes et les souffrances d’Austin Elliot, je l’ai suivi pas à pas dans le domaine des chimères et de l’erreur. Maintenant que, mûri par l’infortune et revenu à des idées plus saines sur le rôle qu’il avait à jouer ici-bas, il accepte humblement, loin de la scène politique, une mission de dévouement et de charité sociale, le moment est venu de lui dire adieu. Raconter tout ce qu’Austin fit de bien avec l’aide d’Eleanor, ce serait nous écarter du cadre de ce récit. Il nous suffira d’indiquer les changemens heureux qui transformèrent peu à peu le domaine insulaire, — de montrer de loin, tranchant sur l’or des bruyères, le vert émeraude des plantations de laryx, — les pentes de la montagne, disputées pied à pied aux ravages des eaux qui les minent, se couvrant de seigles et de luzernes, — la famine bannie, les soucis rongeurs éliminés graduellement, — bref l’argent du vieil Hilton (cet argent acquis par des voies plus ou moins légitimes) devenu, dans des mains plus pures, un instrument de progrès, un trésor de bienfaisance,