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était peut-être complice du faux pratiqué au détriment de lord Mewstone, à moins qu’il n’y eût entre lui et Robert Hilton, — connivence tout aussi coupable, — un contrat d’assurance réciproque contre les pertes au jeu ; mais ceci n’a jamais pu être tiré au clair, par la raison que le jeune libéré, outre la duplicité qui était un des instincts de sa nature, n’avait déjà plus la pleine possession de ses facultés intellectuelles. Une affection cérébrale qui l’emporta quelques mois plus tard exerçait déjà chez lui des ravages funestes.

Le compte rendu d’Eleanor était beaucoup plus satisfaisant. Selon elle, le capitaine Hertford, à peine rentré en Angleterre, lui avait apporté la nouvelle du tragique événement dont Namur venait d’être le théâtre. La tante Maria le présentait d’ailleurs comme un ami de vieille date. Depuis cette époque (l’été de 1844) Jusqu’au mois d’octobre 1845, elle l’avait reçu fréquemment. Il vint lui dire alors un beau jour que Robert vivait encore, mais qu’il était détenu à Millbank pour délit d’escroquerie, ajoutant qu’il avait tout à craindre de la rancune de lord Mewstone, auquel il fallait, par tous les moyens possibles, dissimuler l’existence de ce malheureux jeune homme. Le capitaine, nous l’avons déjà dit, pouvait avoir d’excellentes raisons pour tenir un pareil langage. Quand elle apprit ces terribles nouvelles, Eleanor résolut de n’épouser Austin que lorsque son frère, tiré des mains de la justice, aurait pu être mis à l’écart, soit qu’on l’expédiât en Amérique ou aux Indes, soit qu’on s’arrangeât pour lui faire, en Angleterre même, une existence ignorée. L’union du jeune ambitieux avec la sœur d’un condamné pour vol aurait en effet porté le coup de mort à ses hautes visées, à ses légitimes espérances. Ce fut donc par tendresse et par égards pour lui qu’elle lui dissimula obstinément ce secret, connu seulement d’elle, de la tante Maria, du vieux James et du capitaine Hertford. Ce dernier, qui lui témoignait de temps en temps une véritable compassion, était quelquefois invité à l’accompagner lorsque, le quinze de chaque mois régulièrement, elle allait porter au malheureux condamné le tribut de ses consolations fraternelles. Ainsi s’expliquait l’inopportune rencontre qui, en suscitant chez Austin un terrible élan de jalousie indignée, avait eu de si fatales conséquences.

Quant à la tante Maria, elle était désormais hors d’état de nuire. La violence de son tempérament, développée par les fâcheuses habitudes dont nous avons déjà parlé, s’était manifestée dans plusieurs scènes consécutives qu’elle avait faites, soit en public, soit en particulier, à son ancien confédéré, dont l’indifférence, le dégoût, le découragement, semblaient augmenter tous les jours. Privé par une mesure légale de son siège au parlement et trouvant chez Eleanor une résistance passive, mais insurmontable, le capitaine