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celles d’un galant homme… J’ai fait, je ferai de mon mieux pour ne pas me montrer ingrate…

— Vous y venez donc enfin ?…

— Oh ! ma tante, permettez !… Il s’agit simplement d’une récompense pécuniaire… Informée des embarras où le jetait l’ambition qu’il a eue d’entrer au parlement, j’ai prévenu le capitaine qu’il pouvait s’adresser à mon homme d’affaires, chargé de solder les comptes de son élection à Glenport.

— Mais, petite sotte, c’est au moins trois ou quatre mille livres sterling que vous jetez ainsi par la fenêtre !

— Que voulez-vous, chère tante ? la tranquillité ne saurait se payer trop cher. Si le capitaine a le moindre cœur, ou même, pour peu qu’il ait droit au titre de gentleman, il doit, une fois payé de ses peines, renoncer à certaines obsessions dont je suis lasse.

— Ce dédain vous sied en vérité !… Un homme de son espèce ne vaut-il pas ?…

— Laissons cela, ma bonne tante, et ne commencez pas à me gronder ; ce serait aujourd’hui du temps perdu. Austin m’a promis de revenir.

— Je le voudrais à six pieds sous terre, votre Austin… et Charles Barty… et ce lord Edward que vous transformez en valet de pied.

— Le fait est, ma tante, que si ce vœu charitable venait à être exaucé, ou si seulement j’étais abandonnée de ces trois excellens amis, les seuls que j’aie ici-bas, vous auriez bon marché de moi…

Imprudentes paroles qui ne devaient pas être perdues ! La tante Maria les souligna précieusement dans sa mémoire, et, transmises à qui de droit, elles coûtèrent la vie d’un homme.


X

Jamais Eleanor et les trois jeunes amis n’avaient été plus heureux que pendant ces mois de mars et d’avril 1846. La tante grondait encore, il est vrai ; mais le capitaine Hertford, absorbé par les débuts de sa vie parlementaire, se montrait bien plus rarement à Wilton-Crescent. D’ailleurs l’agitation politique allait croissant et laissait moins de prise aux soucis individuels. Au lieu de tourmenter Eleanor des inquiétudes que lui causait l’impénétrable mystère de son pèlerinage mensuel, Austin lui racontait les luttes ardentes dont la chambre des communes était devenue le théâtre, et qui, gagnant de proche en proche d’abord les clubs où l’élite de la société se donne rendez-vous, puis les masses populaires ameutées par les orateurs de carrefours, semblaient présager des troubles imminens. Le fameux corn-bill, présenté par sir Robert Peel, combattu avec fureur par lord George Bentinck et M. Disraeli, subissait alors ses