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III

La masse de granit qui forme la pointe du Land’s End s’étend d’un côté vers le cap de Cornouaille, aux abords duquel elle disparaît sous des roches plus ou moins ardoisières, et de l’autre elle s’avance en tournant vers Mount’s Bay, après avoir soulevé en face de la mer des promontoires audacieux, creusé des abîmes en forme d’entonnoir et laissé sur son chemin des grottes percées d’étroites fenêtres en ogive qui laissent entrevoir le ciel et la surface houleuse de l’Océan. La Baie du Mont, Mount’s Bay (ainsi nommée à cause du Mont-Saint-Michel, qui en est voisin), s’ouvre en face de la ville de Penzance. Cette masse d’eau est entourée de rivages qui présentent au géologue un intérêt particulier. Une ancienne langue de terre, composée surtout de sables granitiques et appelée le Western Green, ne forme plus maintenant au bord de la baie qu’une grève insignifiante et stérile. Il y avait pourtant là, sous le règne de Charles II, trente-six acres de pâturages qui, dans le cours de deux ou trois siècles, ont été successivement balayés par les vagues. La tradition affirme aussi que le Mont-Saint-Michel, aujourd’hui un rocher isolé au milieu des flots, était jadis situé dans un bois qui s’étendait à plusieurs milles de la mer[1]. Entre ce mont et le village de Newlyn, qui s’élève de l’autre côté de la baie, on trouve sous le sable une noire couche de terre végétale pleine de noisettes, de branches, de feuilles, de troncs et de racines appartenant à des arbres qui poussent encore sur le sol de l’Angleterre. De tels faits proclament qu’il y a eu un changement dans le niveau relatif de la terre et de la mer, et que ce changement ne remonte pas au-delà d’une époque où les plantes étaient ce qu’elles sont aujourd’hui en Cornouaille. D’autres particularités semblent même indiquer très clairement qu’une telle révolution a eu lieu depuis que la contrée était habitée par l’homme[2].

Newlyn et Mousehole, les deux villages de pêcheurs, s’élèvent sur

  1. Le nom celtique confirme pleinement cette tradition ; il signifie le rocher de la forêt.
  2. J’ai vu dans le musée de Penzance, appartenant à la Société géologique de la Cornouaille, un crâne humain trouvé à Sennen, près du Land’s End, dans ce qu’on croit être une forêt sous-marine. Ce crâne est d’une forme extrêmement curieuse et paraît bien appartenir au type le plus sauvage. Toute cette côte porte les traces d’anciens ravages qui ont été attribués à une inondation déterminée par l’abaissement des terres. Quant à l’époque de la catastrophe, il est très difficile de la fixer. L’auteur ou les auteurs de la Chronique saxonne parlent bien d’une irruption de la mer qui aurait eu lieu en 1099 ; mais cet événement ou cette suite d’événemens doit remonter à une date beaucoup plus ancienne.