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AUSTIN ELLIOT
ETUDE DE LA VIE ARISTOCRATIQUE ANGLAISE


VIII

Au moment où nous reprenons cette histoire, en 1846, — un an après la mort de James Elliot, — Eleanor Hilton habitait la maison que son père avait si longtemps occupée dans Wilton-Crescent. La résidence était petite, le domestique peu nombreux. La riche héritière y menait une existence très retirée, n’allant jamais dans le monde, et recevant à peine de temps à autre la visite de quelque ancienne camarade de pension. Encore ces visites étaient-elles tout à fait spontanées, car elle n’invitait personne à venir la voir, et n’insistait jamais pour retenir ceux qui se rendaient près d’elle sans être appelés. La vie de miss Hilton avait un but unique, un but sérieux, qui l’absorbait tout entière. Elle y marchait résolument à travers mille obstacles, mille difficultés humiliantes, soutenue par une grande tendresse et par un esprit d’absolu dévouement. Pourvu que la confiance d’Austin ne lui manquât jamais, elle se croyait certaine de réussir ; mais à quelle rude épreuve ne fallait-il pas mettre cette confiance ! Mainte fois depuis quelque temps il l’avait suppliée de réfléchir aux inconvéniens de la position où elle s’obstinait à demeurer : ces inconvéniens n’étaient que trop visibles, et ils allaient s’aggravant toujours. La tante Maria devenait de plus en plus capricieuse, de plus en plus tyrannique. Aux yeux de bien des gens, elle passait pour folle ; beaucoup d’autres la regardaient comme simplement adonnée à d’ignobles habitudes d’intempérance. Ni les uns ni les autres ne se trompaient tout à fait. N’en gardant pas moins quelques dehors et maîtresse d’elle-même dans les circonstances les plus décisives, la tante Maria conservait sur sa nièce