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de la civilisation, il n’y a presque rien encore ; mais il en est autrement du faîte : la Grèce semble vouloir avant tout des académiciens, des philosophes, des poètes, plus tard elle fera des ingénieurs et des mécaniciens.

La Grèce d’ailleurs, on ne saurait trop le dire, telle qu’elle est aujourd’hui, travaillant à se débrouiller du chaos de barbarie où l’avait jetée la domination turque, est le pays des contrastes. Il n’y a pas de meilleure image de l’état de la Grèce que l’aspect des rues d’Athènes. Près d’une boutique à la turque, dans laquelle le marchand s’assied sur ses genoux en déroulant gravement entre ses doigts les grains de son chapelet, on voit une marchande de modes de Paris ou un café à la française avec un billard d’acajou. Ici un groupe de Maltais accroupis dans la rue attendent l’emploi de leur activité, là des pallikares à la blanche fustanelle, à la veste dorée, aspirent la fumée du narguileh ; des marins de l’Archipel, portant leurs gilets rouges et leurs larges pantalons, se promènent en se tenant par le petit doigt avec le dandinement qui leur est particulier, tandis que d’autres Grecs, vêtus à l’européenne, finissent une bouteille de bière en fumant la cigarette et en dissertant en français sur les journaux de Paris. Celui-là porte le costume grec avec un chapeau de paille, celui-ci une redingote française avec la fustanelle et les grandes guêtres qui ont remplacé les cnémides antiques. Il n’y a pas, nous le répétons, une plus juste image de la société grecque dans son état actuel. À côté de la civilisation la plus raffinée, on y rencontre des mœurs presque sauvages ; à côté d’un instinct aussi démocratique que celui des Américains, on y voit des existences féodales pareilles à celles des barons du Xe siècle, fondées sur la violence et soutenues par la rapine. Comment s’étonner ensuite de voir ce pays dans des crises si fréquentes ? La Grèce est comme une chaudière où fermentent les élémens d’une société nouvelle ; il faudra peut-être un siècle avant que l’amalgame de tous ces élémens divers soit consommé, avant qu’une harmonie parfaite s’établisse entre eux. Jusque-là on verra périodiquement se répéter des agitations et des crises dont on ne comprendra pas toujours la cause, mais qui sont celles qu’ont traversées tous les pays avant d’arriver à la constitution régulière de leur état social. Par momens elle semblera reculer, comme elle le fait depuis un an ; mais quand les angoisses et les difficultés de la transition seront passées, on verra toujours un progrès sortir de la crise qui effrayait les amis de la Grèce et la faisait presque douter d’elle-même.

En essayant ainsi de donner une idée exacte du caractère des Grecs, nous avons négligé le reproche qui leur est peut-être le plus souvent adressé, celui d’une improbité générale dans la nation ; mais nous n’avons jamais, pour notre part, pu parvenir à concilier