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même, mais on retrouve dans chaque province les traits saillans qui dans l’antiquité en distinguaient les habitans. Le Béotien est toujours pesant et laborieux, l’Acarnanien belliqueux et pillard, l’Arcadien simple et droit dans sa vie pastorale, le Spartiate rude et brave, persévérant, mais sans finesse ; l’indulgence des lois de Lycurgue pour le vol dans lequel on a déployé du courage est restée empreinte dans les mœurs des Maïnotes ; le guerrier de la Phthiotide et de la chaîne du Pinde a la violence et la loyauté de ses ancêtres ; l’habitant des îles montre toute la délicatesse du génie ionien, mais en même temps son penchant à la duplicité.

Les Grecs modernes ont conservé le souvenir de leur histoire et jusqu’à ces traditions poétiques qui peuplaient de divinités les sites les plus isolés, les forêts les plus profondes et les solitudes de la mer. Même de nos jours, où le christianisme a depuis bien des siècles réduit l’antique Olympe en poussière, la nature n’est pas la nature pour ce peuple inventif et ingénieux : c’est le séjour de divinités fantastiques, murmurant avec le ruisseau, soupirant avec la brise et bruissant dans le feuillage des arbres. Saint George et saint Démétrius ont recueilli la succession des Dioscures, saint Nicolas celle de Neptune ; saint Élie remplace l’antique Hélios sur les sommets des montagnes. L’imagination populaire place encore des néréides dans toutes les fontaines. Les paysans d’Eleusis racontent la légende de sainte Déméter et de sa fille, qui fut enlevée par un aga turc de la Morée ; ceux de Corinthe, l’histoire de Mme Aphrodite et de ses nombreux amans. Charon est toujours le messager de la mort, qui emporte les âmes dans les sombres demeures ; Pluton n’a pas encore cédé à Lucifer l’empire des régions infernales, qui s’appellent, comme dans l’antiquité, Hadès ou le Tartare. Le berger voit encore des fantômes se dresser dans la plaine de Marathon ; les malades offrent des bandelettes à une colonne anciennement consacrée à Esculape. Vous verriez des gens curieux de l’avenir se diriger vers l’endroit où s’élevaient les chênes prophétiques de Dodone, et vous pourriez rencontrer des femmes stériles en pèlerinage pour aller s’asseoir, afin d’obtenir des enfans, sur un rocher qui était autrefois compris dans l’enceinte d’un temple de Diane. Les capitaines de pallikares demandent à l’omoplate du mouton, comme les anciens guerriers aux entrailles, des indices sur l’issue d’un combat, pour lequel leurs hommes se parent et se peignent, comme faisaient les Spartiates aux Thermopyles, leurs cheveux ramenés en arrière à la mode des Abantes. Dans les fêtes populaires, la profusion des couronnes de fleurs et des guirlandes, les chœurs d’hommes et de femmes, les danses conservées par une tradition bien des fois séculaire, tout rappelle les descriptions des écrivains classiques.

Qu’importent après cela les laborieuses recherches par lesquelles