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groupe de cimes altières et sauvage, interrompu seulement par les terrains bas du Lancashire et du Cheshire et par les échancrures du canal de Bristol. Le second groupé, appelé système cambrien, s’étend en s’abaissant du nord vers le midi de la principauté de Galles. Un troisième système de montagnes beaucoup moins hautes, le dévonien, séparé du cambrien par le canal de Bristol, court à travers le Gloucestershire, le Wiltshire, le Somerset, le Devon, et vient mourir au Land’s End avec la terre qui finit. Qu’on ne s’attende pourtant point à trouver ici un orgueilleux promontoire entassant rochers sur rochers, ainsi que le cap de Cornouaille. Le terrain descend au contraire comme s’il voulait se précipiter humblement vers la mer ; tout à coup pourtant il se relève, défendu qu’il est par une doublé ou triple ligne de falaises qui opposent aux vagues un front de bataille. Ces ossemens du globe, qui déchirent brusquement la croûte terrestre, ont un caractère auguste ; on s’arrête saisi de respect devant les vénérables masses de granit, premières nées des choses à la surface de notre planète. Le voyageur arrive au promontoire du Land’s End, le Belerium des Romains, en suivant une bruyère sur le bord de laquelle s’élèvent des pierres grisâtres ressemblant à des tombes antiques. Le promontoire lui-même, head-land, se compose d’une série de rochers qui s’avancent dans la mer comme les bastions d’une forteresse. Au bout de ces remparts naturels, on aperçoit les larges lames de l’Atlantique battant le mur de granit avec le bruit sombre et monotone de l’éternité. Ces vagues inquiètes et ces rochers immobiles représentent bien le contraste du mouvement et de la résistance. À voir cette armée des flots se précipiter avec une furie aveuglé contre les récifs et battre en retraite après avoir été brisée et divisée, on dirait que c’est la vague qui est vaincue. Qu’on ne s’y trompe point pourtant, c’est le rocher. Le rocher s’use, et la vague ne s’use point. La défaite est lente, je l’avoue, le granit prend même à la surface des eaux repoussées comme un air d’empire et de triomphe ; mais regardez à la base, elle est minée. La mer creuse dans ces masses solides des passages mystérieux, des anfractuosités perfides entre lesquels la vague, resserrée et tourmentée, éclate en un sourd mugissement ; elle ronge peu, mais elle ronge toujours. Ces ravages ajoutent encore à la solennité de la scène.

Le Land’s End est un des sites les plus imposans qu’on rencontre sur les côtes de l’Angleterre. Là, sur une pierre qu’on montre encore aux voyageurs, le pieux docteur John Wesley a écrit un hymne ; là aussi Turner, le peintre des horizons désolés, a célébré Dieu sous une autre forme en dessinant ces lignes d’eau, de ciel et de rochers. Le spectacle est en effet religieux et sublime. Si loin que s’étende le regard, on n’aperçoit que le morne désert des vagues