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n’aurait point fait un bruit plus épouvantable, et le son rebondit pour ainsi dire de pilier en pilier comme répercuté par tous les échos de la caverne. À travers un nuage de fumée qui s’abaissait, j’entrevis la figure souriante et malicieuse de mon batelier, un jeune pêcheur de Cadgwith qui, sans me rien dire, s’était amusé à tirer un coup de pistolet. Il avait voulu m’effrayer ; le touriste surpris par cette commotion terrible croit en effet que toute la ligne des falaises est secouée par un tremblement de terre et qu’elle va tomber en ruine. Mon guide cependant refusa d’aller plus loin, et en effet la barque se trouvait resserrée entre deux murs de rochers. Je lui demandai si quelqu’un avait jamais exploré les profondeurs de la caverne. Il faudrait pour cela, me répondit-il, un habile et intrépide nageur. Les pêcheurs de Cadgwith sont braves, mais ils n’aiment point à courir des dangers inutiles, et nul d’entre eux n’a pénétré jusqu’ici à plus de quelques mètres dans cette embouchure sinistre.

Les roches qui forment les remparts naturels du Lizard sont de nature très diverse : elles se composent de granit, de talc, d’ardoise micacée, de diallage, mais surtout de serpentine. Le nom lui vient de la ressemblance qu’on a cru trouver entre les couleurs de cette pierre et celles de la peau du serpent. Rien n’égale en effet la beauté de cette roche, tigrée de noir, de blanc, de vert, de jaune, de rouge, et polie par l’action continuelle de la mer. Elle n’a qu’un défaut sur les lieux, celui d’être trop commune. Les districts envahis par la pierre, ont cela de fâcheux qu’on y perd les sentiers bordés de haies vives, un des charmes du paysage anglais. Ces sentiers frais et ombreux se trouvent remplacés au Lizard par des murs sur lesquels on marche et qui servent de routes. Marcher sur un mur ne paraît point au premier coup d’œil un exercice bien agréable. Comme pourtant ces chemins bâtis de main d’homme sont suffisamment larges et toujours secs, on s’y promène encore assez volontiers. La serpentine n’est d’ailleurs pas uniquement employée à construire des chaussées ou des maisons ; les plus beaux échantillons sont recueillis avec soin et utilisés dans les arts. Un jour que je m’étais perdu sur les collines qui couronnent le front sourcilleux des falaises, je me trouvai surpris par un orage. Le tonnerre roulait au-dessus de la mer, précédé d’éclairs qui enflammaient la surface des vagues plombées. Je cherchai un gîte pour m’y réfugier ; mais, si loin que s’étendît le regard, on ne voyait aucune trace d’habitation. Je ne rencontrais que des moutons effarés qui tâchaient de se blottir sous les monstrueux blocs de pierre amassés de distance en distance au sommet des précipices. Tout trempé, je suivais au hasard un chemin de bruyères qui descendait le long d’un ravin profond et rapide, quand à ma