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assez ferme ; le changement d’air d’ailleurs et la distraction me remettront vite… Nous ferons de longues courses à pied dans les montagnes, n’est-ce pas, mon oncle ?

— Dans moins de huit jours, Madeleine aura escaladé le Mont-Blanc, répondit-il en souriant.

Nous nous mîmes alors à tracer tous ensemble l’itinéraire de notre voyage à travers les Alpes et l’Italie ; d’après nos projets de séjour dans diverses villes, nous ne devions pas arriver à Naples avant cinq mois.

— Et après que ferez-vous ? demanda Robert avec hésitation.

— Après ? dit mon oncle. Madeleine veut m’emmener en Afrique, en Asie, je ne sais où, à la recherche du soleil. Pourquoi ne ferions-nous pas le tour du monde ?

— Nous permettrez-vous du moins d’aller vous embrasser à Naples, quand vous prendrez votre vol vers l’Orient ? dit Louise.

— Si vous êtes bien sages,… nous verrons, répondit mon oncle en nous quittant pour faire sa promenade de chaque jour. Il proposa à Robert de l’accompagner, mais celui-ci refusa.

Louise, très occupée de mes derniers apprêts de voyage, dont elle voulait m’épargner la fatigue, allait et venait, donnant des ordres sans cesser de causer avec nous. Il vint un moment néanmoins où elle fut obligée de monter dans sa chambre pour écrire quelques lettres, et nous nous trouvâmes seuls, Robert et moi. Autour de nous, dans les clairs rayons du soleil, quelques insectes bourdonnaient joyeusement, et les profondeurs du ciel, un peu pâli par l’approche de l’automne, invitaient à la confiance et à la paix.

— Quand nous reverrons-nous ? murmura Robert.

— Mais… demain, répliquai-je en essayant de sourire.

— Oui, et après ?

Je n’eus pas le courage de répondre. Il me regardait tristement, sans détourner les yeux, comme s’il eût voulu graver l’un après l’autre mes traits dans sa mémoire.

Parmi les fleurs qui ornaient la terrasse, un gros bouquet de pois odorans blancs et roses, détaché de son appui par quelque folle brise et mollement balancé sur sa tige trop frêle, se penchait à la fenêtre entr’ouverte. Robert me l’offrit, et comme j’étendais la main pour le prendre, il saisit mes doigts, et les contempla longtemps ; on eût dit qu’il cherchait dans le réseau bleuâtre des veines une réponse à quelque douloureux problème. Puis, se penchant tout à coup vers moi et relevant les yeux : C’était donc moi ? dit-il si bas que je l’entendis à peine ; c’était moi que vous aimiez, Madeleine, et vous partez, et nous sommes séparés à jamais !…

J’aurais voulu protester, que mes lèvres glacées m’en eussent