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LE PÉCHÉ DE MADELEINE.

— Tenez, docteur, repris-je avec effort, pensez de moi ce que vous voudrez, que je suis une mauvaise âme, une ingrate, que sais-je ? mais c’est elle, c’est Louise, puisqu’il faut l’avouer enfin, c’est ma sœur dont la présence me tue. Vous ne soupçonnez pas ma misère, n’est-ce pas ? Ah ! je suis bien malade, mon bon docteur. Oui, Louise, ma chère Louise, que j’aimais tant autrefois, je ne peux plus la voir…

— Madeleine, que dites-vous ? Est-elle donc changée pour vous ?

— Plus tendre, plus parfaite que jamais… Je vous fais horreur ? Si vous saviez ce que ce mal odieux m’a fait souffrir, vous auriez pitié de moi… Faites-moi partir ; je reviendrai guérie. Je vous ramènerai votre Madeleine d’autrefois, celle que vous aimiez, celle que tout le monde aimait.

Je pleurais ; il s’efforça de me calmer, et alla trouver mon oncle. Je ne sais ce qu’il lui dit, ce qu’il dit à Louise ; mais le soir même mon oncle m’annonça que nous partirions tous les deux dans quelques jours pour l’Italie.

IV.

Je commençai tout de suite mes préparatifs de voyage, mais sans quitter la chambre ; Louise était avec moi. Je craignais que Robert ne demandât la permission de me voir ; il n’en fit rien, et je lui en sus gré.

Nous atteignîmes ainsi le 2 septembre. Il avait été décidé que le soir même Robert et Louise quitteraient Ville-Ferny et iraient m’attendre à Paris, où je devais les rejoindre avec mon oncle dans la matinée du lendemain. Nous partions pour l’Italie deux jours après. Je n’avais donc plus que quelques heures à vivre à Ville-Ferny, et Louise insista pour que je descendisse, et que cette dernière journée fût passée en famille. Mon départ était si proche, que je me crus assez forte pour revoir Robert, et je cédai. Quand j’entrai au salon, appuyée sur le bras de mon oncle, il était assis dans l’embrasure d’une fenêtre, près de mon métier à tapisserie, et roulant les soies d’une main distraite. Il leva la tête au bruit de mes pas.

J’arrivai, cuirassée d’orgueil, décidée à ne montrer que la joie du départ jusqu’à ce qu’il en vînt à douter de ce qu’il avait cru comprendre. Mon oncle me conduisit vers la fenêtre où se tenait Robert, et m’installa doucement dans un grand fauteuil.

— Vous sentez-vous mieux ? me demanda Robert, quand je me fus assise, et que Louise eût mis à ma portée des livres et ma broderie ; vous semblez bien faible pour vous mettre en voyage ?

— Je suis plus forte que je ne le parais, répondis-je d’une voix