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LE PÉCHÉ DE MADELEINE.

s’accomplît, et j’appelais à mon aide un coup de foudre divin. À genoux, la tête cachée dans mes deux mains, je semblais prier tandis que toutes les puissances révoltées de mon être se soulevaient en moi. Et pourtant ce mariage s’accomplit au milieu de la joie de tous et sous les bénédictions du prêtre. Dieu n’intervint pas pour l’empêcher, le soleil continua de répandre à flots ses rayons sur nous, et personne ne soupçonna mon désespoir.

Le reste du jour s’écoula dans les préparatifs du bal pour le soir. Malgré la saison avancée, Louise avait tenu à réunir autour d’elle toutes ses amies, et les invités se trouvèrent nombreux. L’hôtel et le jardin furent splendidement illuminés. Louise avait, sous les diamans dont elle était chargée, un éclat vraiment surnaturel ; son regard et son sourire étincelaient. Je n’ai gardé de cette fête qu’un souvenir confus ; je circulais parmi les groupes comme une somnambule, sans voir et sans penser ; j’avais une lourdeur de tête insupportable.

Vers la fin du bal, je me retirai, brisée, dans un coin du boudoir, de ce même boudoir où Robert un soir m’avait fait l’aveu de son amour, et là, seule, cachée à demi par d’immenses vases de fleurs, oubliée de tous, au bruit de la fête, je me retraçai cette scène rapide et funeste. De quel espoir insensé mon âme s’était un instant enivrée ! Était-il donc vrai que tout était perdu, perdu sans retour, et que je l’avais voulu ? Ma tête s’égarait ; tout ce qui m’entourait m’apparaissait comme revêtu de deuil, et la valse, qui entraînait dans son tourbillon un flot de couples joyeux, retentissait dans mon cerveau malade comme un air funèbre ; mes artères battaient avec violence, et il me semblait entendre le bruit répété des cloches. Au milieu du nuage qui s’épaississait sur mes yeux, j’aperçus mon oncle, qui me cherchait ; je fis un effort pour aller vers lui, mais je ne parvins pas à me lever, et je fus obligée de m’attacher à son bras pour me soutenir. — Qu’as-tu donc, ma bonne fille ? me dit-il tendrement ; tu parais souffrante ?… C’est la fatigue, n’est-ce pas ?

— Oui, la fatigue,… sans doute, balbutiai-je sans savoir ce que je disais.

— Il faut aller te reposer, ma pauvre Madeleine, tu ne te soutiens plus. Aussi bien cette rude journée est passée, bien passée, grâce à Dieu, et nous allons te gâter maintenant ; tu t’es donné tant de peine, tu as été parfaite, admirable… Dieu te bénira, mon enfant, et ton vieil oncle passera sa vie à te rendre heureuse.

Il me semblait que j’allais mourir. — Écoute, ma fillette, dit-il encore en baissant la voix, Louise est bien fatiguée aussi, la pauvre petite ! Va, ma bonne Madeleine, lui tenir lieu une fois encore de la mère qu’elle n’a plus. Emmène-la, et conduis-la chez elle.