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Fishing Cove. Cette anse profonde et retirée s’ouvre entre deux murs de falaises qui l’abritent des vents. Un clair ruisseau formant des cascades descend par un escalier de pierre qu’il a creusé lui-même le long des flancs rugueux du rocher. Le sommet d’une petite colline autour de laquelle serpente un chemin creux est occupé par quelques cottages de pêcheurs joyeusement tapissés de fuchsias et de géraniums ; mais tout à coup la route s’abaisse et se précipite parmi les sables vers la mer. Dans un coin s’élève un petit bâtiment sans portes ni fenêtres sous lequel tourne un manège avec des cabestans et des cordes pour tirer les barques hors de l’eau quand on a besoin de les mettre à sec sur le rivage. Plus loin se montre une autre construction grossière, moitié pierre et moitié boue, couronnée d’un toit angulaire qui s’appuie sur de rudes piliers de granit : c’est le fish cellar, où l’on conserve et sale le poisson. L’entrée de ce port en miniature est gardée du côté de la mer par d’énormes quartiers de roches qui s’avancent dans les eaux et qui forment une espèce de quai. Au moment où je visitai le cove, c’est-à-dire vers midi, les femmes de pêcheurs attendaient debout ou assises sur la roche battue des vagues que leurs maris pussent approcher. Cependant, comme la marée était haute et la brise sévère, les barques avaient une peine extrême à toucher ce rivage tout hérissé d’écueils. Aussitôt qu’une de ces barques pouvait vaincre l’obstacle, les femmes tendaient aux pêcheurs un panier dans lequel se trouvait leur dîner. Ces derniers regagnaient alors le large, et, après avoir pris leur modeste repas, continuaient de jeter leurs filets. C’était, comme disaient les femmes elles-mêmes, un grand spectacle : quatre bateaux pêcheurs, assistés par six autres barques plus petites qui ressemblaient, avec leurs avirons, à des araignées de mer, manœuvraient balancés sur les grosses vagues bleues. Les hommes traînaient et remuaient à brassées d’interminables filets en traçant des cercles sur la mer, puis dans les intervalles ils se passaient d’une barque à l’autre une bouteille pleine d’une liqueur réparatrice.

Les pêcheurs du Lizard ont beaucoup à lutter contre les grandeurs et les dangers d’une côte formidable. Le cap se montre en quelque sorte dentelé d’abrupts promontoires entre lesquels se creusent en fer-à-cheval des criques coupées dans la masse solide des roches. Pour l’artiste qui n’a en vue que les magnificences de la nature, cette configuration est admirable. Kynance Cove par exemple défie toute comparaison avec les autres anses de la Cornouaille. Qu’on se figure un groupe de headlands (promontoires) échancrés par des précipices et s’élevant en face de rochers écroulés de distance en distance dans la mer. Les pêcheurs, ne sachant comment expliquer cet amas de ruines, disent que le diable eut un jour l’idée de bâtir