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LE PÉCHÉ DE MADELEINE.

cret, par pitié dites-le. Est-ce que vous n’avez pas compris ? Est-ce que vous n’avez pas lu tout mon cœur dans mes yeux ?

J’étais frappée de stupeur ; je n’osais comprendre.

— Que dites-vous ?… balbutiai-je dans mon trouble ; Louise, Louise vous aime,… vous le savez. Vous êtes fou !…

— Peut-être, dit-il doucement ; mais n’aurez-vous pas pitié de ma folie ? Si vous saviez ce que j’ai souffert en sentant naître et grandir en moi cet amour !

— Robert, dis-je d’un ton sévère et en essayant d’affermir ma voix malgré les battemens précipités de mon cœur, pas un mot de plus ! Chacune de vos paroles est une offense… Comment ne l’avez-vous pas compris ? comment osez-vous me parler d’amour ?

— Pardon, murmura-t-il, je suis un pauvre fou, vous l’avez dit ; mais je vous respecte et je vous adore. — Écoutez-moi ; consentez à m’entendre… Puis-je offrir à Louise un cœur qui est à vous ? Serait-ce loyal, dites ? Le puis-je ? Sais-je seulement si elle tient à moi ? C’est une enfant ; est-ce qu’on aime à son âge ? est-ce qu’on sait aimer ? Madeleine, je suis libre encore, songez-y, et je vous aime à en mourir.

— Assez ! m’écriai-je en le repoussant, car il était presque à mes pieds ; je ne veux pas vous entendre. Tout cela est une trahison envers ma sœur, et pour moi un outrage.

Je fis un mouvement pour sortir.

— Vous ne voulez pas m’entendre ! s’écria-t-il avec un éclat subit dans la voix et en saisissant mes deux mains, qu’il retint fortement dans les siennes. Vous êtes cruelle, Madeleine ; mais, sachez-le, mon amour n’est pas de ceux qu’on décourage. Je vous aimerai malgré vous, et je vous forcerai à m’aimer… Oh ! vous allez me railler, je le sais ; mais vous ne connaissez pas la passion. Vous croyez qu’on peut nouer et dénouer ces chaînes en souriant ou en secouant dédaigneusement la tête !… Vous croyez qu’on peut dire à un homme : Aimez ici, et n’aimez pas là ! L’amour ne choisit pas, Madeleine ; il vient d’en haut et nous terrasse. Ne riez pas, imprudente, cela vous porterait malheur.

Tandis qu’il parlait, je me sentais troublée, à demi vaincue déjà. Ces paroles enflammées, cet emportement jusqu’alors inconnu trouvaient un secret complice dans la faiblesse de mon cœur ; mais je me raidis contre moi-même, et, affectant une froideur hautaine, je dégageai mes mains, qu’il tenait encore. À cet instant, un rayon de lumière qui glissa entre les deux portières et le frôlement d’une robe sur le tapis du salon voisin nous avertirent de l’approche de Louise, — Madeleine, dit-il précipitamment, un mot encore, un seul ! En quoi mon amour vous offenserait-il, si Louise y consentait ? Laissez-moi…