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aussi à rappeler les jugemens portés sur l’agriculture russe par M. de Molinari, adversaire décidé de la cause polonaise et plein de bon vouloir pour la Russie. Dans le Rousski Viestnick (novembre 1862), il en présente un tableau très sombre. « Que fera, dit-il, le propriétaire sans lumières, sans capital, sans main-d’œuvre ?… La récolte est toujours chétive ! »

Est-il besoin de répondre à d’autres observations, aux reproches de ceux qui nous accusent de n’avoir pas tout dit ? C’est dans le Nouvelliste de Moscou que nous trouvons ces reproches, et nous pouvons lui assurer que nous n’avons rien omis d’essentiel. Ainsi nous ne nous sommes pas contenté d’invoquer le témoignage autorisé de M. Kolb dans notre appréciation des forces militaires de l’empire, nous l’avons contrôlé, et nous avons admis qu’elles s’élèvent à environ 600,000 hommes avec le corps des Cosaques et la cavalerie colonisée. Le journal russe présente un chiffre pareil comme le résultat d’armemens récens ; mais il laisse en dehors 90,000 Cosaques et l’armée du Caucase. Nous persistons à penser qu’il y a exagération dans ces données, bien qu’elles soient loin encore d’atteindre le fameux million de soldats dont on a si souvent parlé ! Il y avait un moyen fort simple de lever tous les doutes : c’était de publier les états de l’armée. Aurait-on craint les rapprochemens que permettent de faire les documens peu nombreux, mais significatifs que le gouvernement russe a déjà mis au jour ? Ce qui est certain, c’est que les finances de la Russie doivent se ressentir rudement du surcroît de dépense amené par la levée de nouvelles troupes et pour la construction hâtive de fortifications plus solides. Nous désirerions fort voir l’état au vrai du règlement des recettes et des dépenses de 1863 ; après l’avoir étudié, on cessera de nous taxer de pessimisme.

En définitive, la situation ne s’améliore pas pour la Russie, quoi que puissent prétendre les apologistes d’un ordre de choses qui ne saurait faire désormais illusion à personne. Serait-il vrai que, vers la fin de 1863, le gouvernement a consenti une remise notable aux détenteurs d’eaux-de-vie en dépôt pour les engager à payer le droit d’accise avant le 1er  janvier ? On ne saurait voir l’indice d’une grande prospérité dans l’émission de nouveaux bons du trésor pour 36 millions de roubles (144 millions de francs) avec la clause que les caisses du gouvernement ne peuvent les recevoir en paiement, à moins que la somme à payer n’égale au moins le principal et les intérêts des billets. On a beau épuiser les palliatifs et multiplier les démonstrations destinées à éblouir le monde, l’abîme du déficit se creuse de plus en plus, la force des choses et la vérité né perdent point leur empire, et la Russie risque fort d’être amenée trop tard à le reconnaître.


L. Wolowski, de l’Institut.

V. de Mars.