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quittaient encore volontiers leur hutte une ou deux fois par jour et venaient donner un coup de main au ménage de la reine ; mais avec les années les enfans vinrent, et elles n’eurent point trop de tout leur temps pour soigner leur propre famille. Le page de Zénobie lui-même s’ennuya d’éventer sa souveraine et changea le rameau de fougère pour un aviron. La reine se plaignit amèrement ; mais, voyant que ses plaintes ne servaient à rien et que toutes les mains étaient occupées ailleurs, elle prit bravement le parti de se servir elle-même. Comme elle était encore jeune, elle finit par se lasser du veuvage et devint la femme d’un pêcheur. Pendant que ce dernier était en mer, elle cultivait quelques légumes autour de la hutte, faisait la soupe, et au retour elle étendait devant le feu les habits mouillés de son mari. Ils s’aimaient ; aussi ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfans. Ces enfans, accoutumés dès l’âge le plus tendre à suivre leur père dans une barque et à jeter les filets en mer, devinrent habiles à la pêche ; ils n’eurent d’ailleurs aucune peine à oublier leurs droits au trône et à se consoler de la perte de grandeurs qu’ils n’avaient jamais connues. C’est pourtant de ce sang royal, à en croire le naïf chroniqueur, que descendent les principales familles de pêcheurs aujourd’hui dispersées sur les côtes de la Cornouaille.

Malgré ces efforts de l’imagination et de la légende pour se rattacher par quelques liens à une origine phénicienne, il est très certain que, pris en masse, les habitans de la Cornouaille sont tout simplement d’anciens Bretons qui se sont faits Anglais. On les a comparés aux Écossais et aux naturels du pays de Galles, avec lesquels ils offrent sans aucun doute un air de famille ; mais le village du Lizard fait surtout songer à l’Irlande. La forme des huttes est à peu près la même, et, pour compléter la ressemblance, de braves porcs errent le long des rues avec un air de satisfaction majestueuse. Quelques traces de l’esprit irlandais, ce que les Anglais appellent irishism, se rencontrent même de temps à autre dans les classes inférieures de la population[1]. Fins et insinuans, ces Bretons de l’ouest ont heureusement associé les traits du caractère celtique à la force de volonté qui distingue le type anglo-saxon. Les pêcheurs du Lizard se trouvent plus ou moins dispersés dans le village ; mais leur lieu de rendez-vous est l’anse connue sous le nom de Lizard

  1. Il est très difficile d’analyser ces nuances : le mieux est peut-être de citer un exemple qui dispensera d’y insister. Un paysan de la Cornouaille avait été appelé devant un tribunal en qualité de témoin. Il s’agissait d’un jeune garçon poursuivi pour quoique mince délit. Le juge demanda au paysan si l’enfant disait d’ordinaire la vérité. « Oui, répondit ce dernier, il dit la vérité ; il dit même quelquefois un peu plus que la vérité. » Voilà ce que les Anglais appellent un irishism.