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réel du papier-monnaie circulant, qui ne s’élève par conséquent qu’à 200 ou 250 millions de roubles, chiffre restreint plutôt qu’exagéré, et qui explique la pénurie numéraire ainsi que le taux élevé de l’escompte à l’intérieur et même à la bourse de Saint-Pétersbourg et d’Odessa.

« La trop grande abondance de papier-monnaie se manifeste par la dépréciation de ce papier. Or à l’intérieur la confiance qu’il inspire est inébranlable. Ce qui le prouve, c’est que, depuis le 1er septembre jusqu’aux derniers jours d’octobre 1863, alors que la banque donnait l’argent au pair, le pays n’a rien échangé. Toutes les demandes étaient pour l’extérieur et affectées au solde des importations étrangères. La hausse du change en 1862-1863 a donné une prime de 5 à 10 pour 100 aux importateurs de marchandises, et la bonne récolte en 1862-1863, en France et en Angleterre, ayant ralenti les expéditions des céréales russes, il fallait payer à l’étranger, en or ou en traites de la banque, le déficit de notre bilan commercial. Voilà tout le mystère de cette mesure non réussie d’échange dans laquelle le pays même n’est entré pour rien…

« Tandis qu’en France les transactions commerciales se font à trois mois de terme tout au plus, en Russie elles se font ordinairement à six, neuf, quelquefois même à douze mois de terme. La plupart du temps les paiemens sont fixés à l’époque de réunion des grandes foires, telles que celles de Nijni, de Kharkov, de Poltava, d’Irbit, etc. Dans le cas même où l’argent est disponible deux ou trois mois avant le terme désigné, le négociant russe ne le fait pas valoir, le gardant jusqu’à échéance, en sorte que si un billet de la Banque de France circule constamment et rapidement, le papier-monnaie russe suit une voie tout opposée, ce qui fait qu’il en faut beaucoup plus. En France, chaque boutiquier, chaque négociant se sert de la Banque de France ou de l’intermédiaire des banquiers. Ces derniers font aussitôt valoir les dépôts qu’ils ont reçus. Tout cela est complètement inconnu en Russie, de même que la lettre de crédit. En Russie, les habitudes sont autres. Tous les produits agricoles se paient au comptant, et l’acheteur doit emporter les sommes qui. lui sont nécessaires en billets de crédit qui restent en portefeuille pendant toute la durée d’un long voyage…

« M. Wolowski ne cite, il est vrai, que des chiffres officiels et produits par le gouvernement russe lui-même, mais il les groupe et les interprète de manière à en déduire les conclusions les plus arbitraires. Affirmer d’abord que la Russie est un pays pauvre, le répéter plus de trois fois à la même page, c’est commencer par prouver qu’on s’est laissé entraîner par des sympathies politiques qu’expliquent le nom et l’origine de l’auteur… Les richesses nationales de la Russie avec ses 70 millions d’habitans sont, toutes proportions gardées, équivalentes à celles des pays les plus favorisés. La seule différence réelle, c’est que ces richesses n’ont pas atteint le même degré d’exploitation, de développement et surtout d’imposition. Les magnifiques provinces situées entre le Volga et la Dvina, le Dniester et le Bug, dont la superficie égale celle de la moitié de l’Europe, possèdent un sol admirable, qui n’a même pas besoin d’engrais pour produire les plus riches récoltes… Jamais les paysans n’ont autant ensemencé et récolté qu’en 1862-1863. Quant aux propriétaires, M. Wolowski se trompe encore en affirmant