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tats illusoires ; venant de sa part, de telles concessions annonceraient des craintes, une défaillance, une lassitude, qui sont loin de son cœur. La nation danoise a pris son parti de la crise actuelle ; il faut qu’elle en sorte affranchie des tracasseries qui la troublent depuis douze années, ou qu’elle succombe. Si l’issue de la lutte devait détacher le Holstein de la monarchie, le Danemark ressentirait profondément sans doute l’affaiblissement que lui infligerait cette perte ; mais il s’y résignerait en se voyant délivré de la fatigue des chicanes allemandes, et il regarderait l’avenir avec confiance en songeant qu’au prix de ce sacrifice il aurait conquis son indépendance et la liberté de ses développemens intérieurs. Si un malheur plus grand attendait le Danemark, s’il devait être aussi dépouillé du Slesvig, il considérerait sa ruine comme infaillible, ce serait la fin de la monarchie danoise. Il préférerait encore cette révolution à l’expédient bâtard de l’union personnelle du Slesvig substituée à l’union réelle. Les patriotes danois professent sur cette combinaison l’opinion qu’en devraient avoir tous les hommes d’état occidentaux. L’union personnelle ne terminerait rien ; elle livrerait indéfiniment le Danemark aux désordres intérieurs qui l’ont si longtemps troublé, et qui retentissent aujourd’hui sur la politique européenne. L’ennemi serait introduit au cœur de la place. La monarchie danoise serait livrée à la politique allemande. Les Danois veulent donc que la lutte soit décisive. Ils refusent les armistices dilatoires, ils repoussent l’amusement des négociations temporisatrices. Vivre maîtres d’eux-mêmes bu périr avec éclat, c’est la seule alternative qu’ils admettent.

Mais les Danois, et ils le savent bien, ne sont point seuls intéressés dans ce dilemme. La conservation du Danemark importe à l’Angleterre et à la France. Après les démonstrations si extraordinairement actives et si prodigieusement impuissantes que le cabinet anglais vient de faire pour le Danemark, l’intérêt anglais engagé dans la question ne saurait être nié. Malgré la réserve expectante que la France a observée devant cette crise, nous croyons également que l’intérêt français est incontestable. Le Danemark a été l’un de nos plus constans alliés parmi ces états secondaires qui ont si longtemps formé la clientèle de la France. S’il venait à disparaître, ce ne serait point une consolation digne de nous que de venir dire qu’après tout nous ne nous sommes point compromis pour lui, et que, plus prudens que les Anglais, nous avons du moins épargné à notre amour-propre dans cette occurrence la blessure d’un échec diplomatique. À un certain point de vue, nous sommes en effet en train de prendre notre revanche des procédés de mauvais camarade que l’Angleterre a eus envers nous l’année dernière dans la question polonaise. Nous aussi, nous avons échoué l’année dernière dans les efforts que nous avons tentés en faveur d’une nation asservie et opprimée au mépris de la justice et des traités. L’Angleterre avait frappé d’avance notre politique de stérilité en annonçant qu’elle ne nous donnerait qu’un concours moral, qu’en aucun cas elle ne soutiendrait par