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Cette situation est en effet aussi bizarre que pénible. Les instincts et les intérêts pacifiques des sociétés modernes y sont aux prises avec de sourdes et incessantes appréhensions de guerre, et ce qui est étrange, c’est que le motif de cette anxiété générale est un phénomène tout particulier à notre époque que M. Guizot a omis parmi les causes qu’il assigne aux entraînemens ou aux calculs d’une politique belliqueuse. Il n’est pas question maintenant de l’esprit de conquête ; l’esprit de propagande ne lance point ses ardentes provocations : ce qui fait le plus notoirement défaut dans les évolutions de la politique européenne, c’est, à en juger par toutes les apparences, l’esprit de système. Un fonds général d’irrésolution où l’on demeure à la merci de boutades isolées ou d’incidens imprévus. Voilà l’état politique où nous sommes et dont les nations européennes souffrent très positivement. On a bien la paix, mais on n’a pas l’assurance de la conserver. On assiste à des combinaisons diplomatiques qui mettent la paix en péril ; mais on ferait trop d’honneur à ces combinaisons, si on les attribuait à des vues systématiques, car ce que redoutent le plus ceux qui les tentent, c’est de suivre la logique de leurs paroles et de leurs actes, et de poser des conclusions nettes. On ne voit clair dans rien ; l’esprit public n’est nulle part porté et affermi par l’aveu d’une politique décidée. On a ri souvent du vague, de la confusion et de l’enchevêtrement de la politique intérieure de la confédération germanique : nous ne savons si cela provient de ce que la question dominante du jour est une question allemande ; mais le fait est que pour le moment l’Europe entière, plongée dans une confusion dont elle ne peut plus se débrouiller, semble être devenue une immense Allemagne.

Le malheureux conflit de l’Allemagne et du Danemark restera comme la révélation humiliante de la triste situation que nous essayons de décrire. Il est déplorable qu’un procès comme celui qui se débat entre l’Allemagne et le Danemark n’ait pu, dans l’Europe moderne, se vider pacifiquement par la seule action des forces morales. Il est déplorable qu’on n’ait su ni prévoir ni prévenir l’extrémité odieuse d’une lutte si disproportionnée. Il est honteux que sous le regard de grandes nations éclairées, libérales, puissantes, un tel débat ait fait verser du sang. Ce sang, si gratuitement, si étourdiment, si cruellement répandu, crie vengeance. Ce sang laissera une tache sur la politique contemporaine, Or, si l’on y réfléchit, ce malheur est la faute de l’irrésolution universelle ; c’est la conséquence d’un état de choses où les intérêts se divisent sans avoir l’excuse des ambitions énergiques, où des scissions d’opinions s’accomplissent pour des motifs futiles entre les peuples qui semblaient appelés à diriger la civilisation moderne, où l’esprit public manque de lumière et de chaleur, où les malfaisans caprices des gouvernemens semblent échapper de ; plus en plus au contrôle affaibli de la conscience européenne.

Ceux qui ont commis contre le Danemark l’agression qui inquiète l’Eu-