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s’en faisaient elles-mêmes les interprètes avec une incroyable ardeur. « Elles ne manquaient pas une si belle occasion, dit Bezenval en se moquant, de se faire les soutiens de ce qu’elles appelaient les constitutions fondamentales de l’état. Dans les conversations, dans les soupers, on ne parlait pas d’autre chose ; les assemblées de société ou de plaisir étaient devenues de petits états-généraux où les femmes, transformées en législateurs, débitaient des maximes de droit public et établissaient des principes avec l’assurance et l’audace que leur donnait le désir de dominer et de se faire remarquer, désir encore échauffé par l’importance de la matière et sa célébrité. » La matière était importante en effet, plus que le superficiel Bezenval ne le soupçonnait sans doute, et nous serions aujourd’hui moins portés à prendre légèrement en dédain le chaleureux mouvement d’opinion qui se manifestait alors. On ne peut en vérité considérer sans une vive et sympathique émotion cette heure solennelle, dans l’histoire de notre ancienne monarchie, qui comprend la fin du règne de Louis XV et le commencement du règne de Louis XVI. Ce fut peut-être, s’il y en eut un jamais, le seul moment où des esprits éclairés et sincères purent croire qu’il était temps encore de détourner une révolution déjà prévue et redoutée. Bezenval lui-même atteste qu’une réaction très vive contre les excès de tout genre commis pendant le long règne de Louis XV marquait les dernières années de cette désastreuse époque. La mode n’était plus, comme naguère, à la débauche, et le vice n’était plus commandé par le bon ton ; au contraire on commençait à louer le maréchal et la maréchale de Biron d’être restés sévères, et la maréchale de Luxembourg de l’être devenue. Il était naturel qu’à la tête d’un mouvement de réforme toute morale, où la dignité de leur sexe était si fort engagée, on vit se placer les femmes que leur naissance et leur esprit avaient mises aux premiers rangs de la société d’alors. La revendication des droits individuels n’avait jamais été séparée de celle des droits publics dans les enseignemens qu’avait popularisés la philosophie du XVIIIe siècle, et l’on savait déjà, au moins dans la sphère la plus élevée de la nation, que la cause de l’individu, celle du citoyen, ne se séparait aucunement de la cause de l’état.

Gustave reçut de la cour tout l’accueil que son incognito permettait : le 9 février, visite à Versailles et souper avec le roi ; le 12, bal chez la jeune dauphine Marie-Antoinette ; le 18, chasse à Versailles et spectacle à la cour ; invitation à Marly le 13, à Choisy le 22. Le vieux roi Louis XV témoignait personnellement au prince royal de Suède une grande bienveillance, et paraissait tout préparé à poursuivre avec lui les négociations intimes en vue desquelles il était venu. Le ministère avait changé : le duc de La Vrillière faisait