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Tessin est encore l’esclave de son temps par sa foi excessive dans les maximes qui recommandaient alors d’instruire les enfans sans leur imposer la peine et le travail. Il raconte lui-même que tous les matins, pendant la toilette de son jeune élève, il lui faisait connaître les principaux métiers en lui montrant des gravures et en imitant par le geste et la voix les différens travaux ; sans aucun doute il ne faisait que disperser ainsi l’attention de l’enfant et l’accoutumer à un genre d’instruction des plus superficiels. Son livre décèle encore une confiance exagérée dans les moralités trop vagues ou trop hautes qui résultent de ses apologues. On sait combien le XVIIIe siècle se complaisait aux formules ; elles convenaient à sa prédication, parce qu’elles revêtaient d’enveloppes à la fois transparentes et légères les idées philosophiques et morales qu’il avait mission de répandre, et qu’il confiait à tous les vents : il jetait le grain, laissant à d’autres le soin de labourer assidûment la terre. Jamais plus de maximes d’éducation n’ont vu le jour, et jamais peut-être l’instabilité des caractères et, des esprits n’a plus empêché la communauté de travail silencieux, patient, dévoué, qui fait le vrai fonds de l’éducation humaine. De là le peu de solidité des doctrines de Rousseau, et de là aussi la vanité des creux préceptes dont les livres de Marmontel, de Berquin et de Mme de Genlis sont remplis. Enfans, ne lisions-nous pas dans Berquin « qu’on devient plus vertueux en se rapprochant de la nature, » et Mme de Genlis ne prétendait-elle pas, par le récit de ses aventures romanesques, enseigner à nos sœurs, avant leur huitième ou neuvième année, « qu’il faut avoir de l’empire sur soi-même, dominer les mouvemens de son cœur et les élans de sa passion ? » Tessin a mérité de pareils reproches : son livre est rempli de vagues axiomes qui ne devaient avoir aucune prise sérieuse sur le caractère d’un prince enfant. Son équivoque sagesse faisait à son insu de nombreuses concessions aux faiblesses de son temps. S’il ne donnait pas tête baissée et avec un visible excès dans les vices contemporains, il n’échappait pas assez à l’affectation générale du goût et du style ; elle se trahit fréquemment dans sa prose entremêlée de petits vers :

Aux cris des malheureux ouvre ton tendre cœur[1] ;
Goûte le suprême bonheur
De dispenser des dons, de répandre des grâces ;
Prends pour guide le Sentiment.
Ce n’est qu’en marchant sur ces traces
Qu’on est un prince vraiment grand…

« Il est d’autant plus nécessaire, mon très cher prince, que la tendre humanité touche votre cœur, que vous serez entouré d’une foule de gens

  1. Lettre 57, du 30 juin 1753.