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élève, ses souvenirs personnels d’un moment si brillant dans l’histoire de la société française et de la cour de Versailles. Dans ses lettres aussi, quand il veut offrir au prince les modèles des vertus héroïques et royales, c’est saint Louis, Henri IV, Louis XIV, Turenne et Condé, aussi bien que Gustave Vasa, Gustave-Adolphe et Charles XII, dont il invoque les exemples. Il admire franchement et interprète bien Molière ; il cite Mme de Sévigné sans cesse, et paraphrase les meilleurs préceptes de Boileau : ce sont déjà pour lui des classiques ; il semble qu’il comprenne quelle place utile ils doivent occuper dans une éducation libérale, et ils figurent dans ses lettres beaucoup plus souvent que les écrivains du XVIIIe siècle. Il est plein d’estime pour notre littérature historique et pour notre érudition : dans une lettre énumérant les ouvrages qui devront faire partie de la bibliothèque du prince, il ne manque pas de lui recommander les belles éditions ad usum Delphini ; il énumère toutes les principales sources de notre histoire, depuis la chronique de Turpin jusqu’aux mémoires du XVIe siècle, en désignant les meilleures éditions et en signalant même les divers manuscrits conservés dans la bibliothèque du roi, à Paris ; il a soin d’y ajouter, en vue d’une connaissance complète des premiers siècles de l’histoire de France, les grandes collections de Du Chesne et de dom Bouquet. Tessin est donc un lettré, à qui une certaine culture d’esprit a laissé de salutaires impressions et d’utiles souvenirs : il s’est épris de la France de son temps, qui attirait de partout les regards ; mais il a connu aussi une autre France, dont la majesté ne lui a pas échappé. C’est pour cela que sa morale, souvent douce et grave, le met à l’abri des erreurs les plus fâcheuses où tombent ses contemporains ; c’est pour cela qu’il est resté chrétien et que l’élévation de ses sentimens se traduit quelquefois par une certaine hauteur d’expression, comme dans ces lignes :


« Que penserez-vous, monseigneur, de ces prétendus philosophes qui ne veulent pas seulement voir ce que les païens voient, qui s’imaginent qu’il est d’un esprit fort et du bel air de donner tout aux préjugés et à l’éducation, de se refuser à la révélation, et de se jouer également de Dieu et d’eux-mêmes ?… Que votre altesse royale ne prête point ses oreilles aux discours de ces railleurs téméraires, qui s’étourdissent eux-mêmes pour ne pas reconnaître d’autre divinité que celle qu’ils se sont forgée… »


Et ailleurs :


« Malgré tant d’événemens qui se sont si rapidement succédé, les siècles futurs auront encore des nouveautés dans lesquelles nos descendans reconnaîtront, ainsi que nous le faisons, que Dieu en est le seul moteur, et que mille accidens que nous ne saurions prévoir sont autant de preuves de sa sagesse et de son attention à réveiller notre confiance en lui, et à nous encourager à faire usage de toute l’étendue de notre raison et de tous les