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qu’elle avait subis et par le sentiment de ceux que les discordes intérieures lui imposaient encore. L’éducation de Gustave III allait se faire au milieu de tant d’excitations diverses, dans le désordre des guerres civiles, dans l’effervescence d’un siècle ami des réformes et des imitations étrangères, dans le bruit et le tumulte, qui risquent d’empêcher toute culture féconde. Cette éducation devait souffrir assurément de tant d’influences extérieures, non pas assez cependant pour étouffer dans le cœur du jeune prince un vif sentiment de patriotisme, ni pour affaiblir l’intelligente sympathie qui l’entraînait vers ses naturels alliés.


II

Dès sa première enfance, Gustave III fut privé d’une sérieuse direction, intellectuelle ou morale. Le roi son père, Adolphe-Frédéric, indolent et incapable, avait accepté à contre-cœur la domination que les états faisaient peser sur lui ; il déclarait tout net qu’il eût mieux aimé être « tambour en Allemagne » que roi de Suède, et il profitait des loisirs qu’on procurait à la royauté pour se livrer à la pratique de vulgaires métiers dans sa belle résidence de Drottningholm. La reine, Louise-Ulrique, la sœur du grand Frédéric, était belle et spirituelle, mais fière et dédaigneuse, et le dépit qu’elle avait de régner sans grandeur en Suède la préparait mal à veiller avec sollicitude sur le jeune prince auquel revenait un héritage qu’elle tenait pour peu enviable et même pour incertain. Une vive intelligence, fort digne de son temps, faisait de cette princesse une protectrice dévouée des sciences, des lettres et des arts ; mais elle avait aussi emprunté de son siècle une inquiète curiosité qui la rendait accessible aux théories les plus téméraires : on la vit, au lieu de s’enfermer dans les soins d’une éducation maternelle, expérimenter les doctrines de Rousseau sur un malheureux enfant nègre qu’elle avait reçu en cadeau de quelque voyageur. Elle voulut savoir ce que produirait chez cet être abandonné le naturel se développant à l’aventure ; elle imagina de le sevrer de toute sorte d’instruction intellectuelle, morale ou religieuse, et, comme l’expérience se faisait dans l’atmosphère corrompue des antichambres ou des alcôves de palais, son misérable jouet devint, comme on pouvait le prévoir, un triste et vil héros d’intrigue.

Gustave, né le 24 janvier 1746, avait deux frères et une sœur[1] ;

  1. Le prince Charles, né le 7 octobre 1748, duc de Sudermanie en 1772, et qui devint régent après la mort de Gustave III, puis roi sous le nom de Charles XIII ; le prince Frédéric-Adolphe, né le 18 juillet 1750, duc d’Ostrogothie en 1772, mort en 1803, et la princesse Sophie-Albertine, née le 8 octobre 1753, destinée à mourir seulement en 1829, après avoir été témoin des nombreuses infortunes de sa famille.