Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dès l’année suivante, les représentations continuèrent jusqu’en 1705 ; mais alors la disette d’argent et les malheurs publics y mirent un terme. Rosidor, chef de la troupe, revint en France avec ses camarades Savigny et Duchemin, ce dernier pour faire depuis une certaine fortune à Paris dans les rôles à manteau. Après deux nouvelles tentatives, la comédie française fit enfin un établissement durable au temps de la jeunesse de Gustave III. Tout était profit pour la Suède dans cette importation : l’art dramatique avait été exploité jusque-là dans ce pays par des troupes allemandes ; elles représentaient dans un jargon informe le Docteur Faust, l’Homme riche et Lazare, Nos Pères avant la chute, débris des anciens mystères, qui n’apparaissaient plus que comme des bouffonneries sans nom. Les novateurs, parmi ces comédiens errans, avaient toutefois commencé à jouer dans les villes suédoises les comédies du poète danois contemporain Holberg, et c’était frayer les voies à la comédie française, car Holberg, avec son originalité réelle et profonde, est en même temps et s’intitule lui-même disciple de Molière. D’autre part, les beaux esprits suédois, grands seigneurs et courtisans, s’étaient épris de la scène française à Paris même, grâce à de nombreux voyages. Le comte Charles Fersen, un des chefs du parti des chapeaux, et que le baron de Breteuil appelait dans ses dépêches « un grand républicain, » doué d’une belle physionomie et d’une taille imposante, avait cédé à cette passion jusqu’à s’engager sous un faux nom dans plusieurs théâtres des provinces de France. Ce farouche partisan, avant de tonner dans les diètes suédoises, avait interprété sur nos scènes les principaux personnages de la tragédie classique. De retour dans sa patrie, il avait mis cet amusement à la mode et fait jouer nos pièces par les cavaliers et les dames de la cour. Lors donc que des troupes de comédiens français voulurent s’établir définitivement en Suède, elles trouvèrent les esprits tout préparés, et firent promptement disparaître les troupes allemandes, qui ne pouvaient lutter avec elles. Leur influence éveilla le goût public et suscita peu à peu la création d’une scène nationale. Dalin et Gyllenborg traduisirent d’abord, il est vrai, un bon nombre d’ouvrages français ; mais bientôt ils composèrent, sur les données que leur fournissaient en abondance les annales de leur patrie, des pièces bien supérieures à ce qu’on avait écrit jusqu’alors, et la Suède fut en possession d’une littérature dramatique.

Le goût des beaux-arts devait se développer aussi à la suite des rapports devenus intimes entre Stockholm et Versailles. La Suède avait reçu indirectement une première leçon de l’Italie : les glorieux capitaines de Gustave-Adolphe avaient, pendant la guerre de trente ans, dépouillé l’Allemagne méridionale et surtout la Bohême, où Rodolphe II avait voulu ériger une nouvelle Athènes. Quelques-uns des