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son orgueil national un peu farouche, et vis-à-vis des cours souvent intraitable, épris cependant d’un goût, au moins passager, pour nos fêtes et d’un respect plus durable pour notre littérature, Charles XII représente bien cette Suède et peut-être même cette Europe du commencement du XVIIIe siècle, rendant un hommage spontané et presque involontaire à la France, sans toutefois se laisser asservir.

Immédiatement après lui, la période de la liberté, qu’on oppose quelquefois au règne de Gustave comme plus originale, a dû précisément à l’influence française quelques-uns de ses meilleurs fruits. Ce serait une longue et curieuse histoire que celle de cette invasion de l’esprit français chez un peuple lointain et ami ; il ne serait pas impossible (mais cette tâche excéderait nos limites) de la reconstruire tout entière. La philosophie française avait rencontré de bonne heure en Suède des disciples intelligens et dévoués. L’ancienne scolastique, qu’avait à peine ébranlée la doctrine de Ramus, y fut vaincue par le cartésianisme pendant les vingt dernières années du XVIIe siècle, non sans de rudes combats, dont seraient témoins les centaines de liasses intitulées cartesiana qui couvrent les tablettes de la bibliothèque d’Upsal. L’influence de la nouvelle philosophie se fit immédiatement sentir dans l’enseignement et dans la science. Une logique plus rigoureuse et plus conforme à la raison, un langage plus élevé à la fois et plus simple régnèrent dans les universités. « Il y a un certain nombre de vérités primordiales auxquelles se rapporte la science humaine et qui la contiennent tout entière. Elles sont comme les indestructibles Hermès marquant le chemin royal que doit suivre toute recherche intellectuelle jalouse d’atteindre le but ; ce but est la vérité, vers laquelle tendent toute pensée humaine, tout soupir incessant de la créature, tout effort, même obscur, de la création. Il ne faut point chercher la vérité dans la multiplicité et la variété infinies, elles n’en peuvent offrir que le fugitif reflet ; mais il y a au fond des connaissances humaines quelque chose d’impérissable, et le choix est nécessaire d’un petit nombre d’idées maîtresses, seules capables de nous conduire hors du labyrinthe des philosophies. De même qu’à mon avis c’est l’objet des sciences naturelles de comprendre tous les phénomènes sous le plus petit nombre de lois possible, de même je crois que la logique et la métaphysique doivent tendre à ramener à quelques principes et à quelques idées élémentaires ce superflu d’argumens et de formules qui embarrassent maintenant la simple vérité… » Ainsi s’exprimait vers 1730 un des premiers cartésiens en Suède, un professeur de l’université de Lund, nommé Rydelius, dont on pourrait citer beaucoup de pages semblables, et que les Suédois comparent à notre Fénelon. Ce ferme langage, qui contrastait avec les habitudes d’une scolastique confuse, causait une