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nécessaire de s’en délivrer comme ils pourraient. Après avoir mûrement délibéré, les juges condamnèrent Tregeagle à transporter d’une anse à l’autre de la côte les sables que la mer ramenait toujours dans, le même endroit. Pendant que Tregeagle était occupé à remplir cette tâche de Sisyphe, il laissa tomber par accident un sac de sable à l’embouchure de la rivière. Ainsi furent formés la barre et le lac rouge, Loe Pool, qui s’étendent entre Helston et la mer.

La ville de Helston, non contente d’avoir sa légende, conserve un ancien usage dont l’origine a été rapportée par les antiquaires soit aux fêtes de Flore, soit à une victoire sur les Saxons, soit même à une vieille coutume celtique. Toujours est-il que le 8 mai de chaque année toutes les boutiques de la ville sont fermées comme pour la célébration du dimanche. Vers sept heures du matin, des groupes d’enfans, qui ont été dans la campagne dès la pointe du jour, reviennent chargés de branchages ; ils annoncent en chantant que « l’hiver est passé, et qu’ils ont été dans le joyeux bois vert pour trouver l’été chez lui. » A une heure de l’après-midi, des hommes et des femmes en habits d’été, tous couverts de fleurs, se rassemblent devant l’hôtel de ville. Précédés par une bande de musiciens, ils se livrent à un genre de danse tout particulier qu’on appelle la furry[1]. Ces évolutions chorégraphiques ont d’abord lieu dans la rue ; mais, entraînés par l’ardeur de la bacchanale, danseurs et danseuses entrent quelquefois dans les maisons particulières, traversent, musique en tête, les cours, les jardins, où ils se répandent sous les ébéniers et les lilas en fleur. La fête dure jusqu’à la nuit, et se termine par un grand bal dans l’Hôtel de l’Ange. D’année en année, il faut le dire, le furry day (jour de danse) perd de son ancienne importance, et on doit le regretter, car il servait à rapprocher les différentes classes de la société anglaise. L’air que jouent encore les ménétriers à la tête du cortège, et qui est connu sous le nom de furry tune, confirme bien l’opinion de ceux qui regardent de tels rites comme un débris de l’antiquité. Cet ancien air est traditionnel dans le pays de Galles, et aussi, dit-on, dans notre Bretagne.

De Helston au cap du Lizard, la route est monotone et peu fréquentée par les voitures. Malgré l’introduction, d’ailleurs assez récente, des chemins de fer, les moyens de communication de la Cornouaille demeurent encore, sous certains rapports, à l’état d’enfance. Autrefois on voyageait dans des voitures appelées vans ; il en reste

  1. Ce mot même a donné lieu à beaucoup de commentaires : quelques-uns le regardent, comme une corruption de fury (furie) ; d’autres, avec plus de vraisemblance, le font dériver de feur ou de fair ; une foire ou une fête, dans l’ancien langage du pays.