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une plaine, une gorge de montagnes, une prairie, un effet de lumière. Cette préoccupation du paysage, parfaitement légitime dans des sujets tels que l’Atala, s’explique beaucoup moins dans des sujets tels que les Contes de Perrault et le Don Quichotte. Nous lui signalons cette inclination de plus en plus prononcée de son esprit[1]. Et maintenant que nous en avons fini avec la nouvelle illustration, tournons-nous un instant vers Don Quichotte lui-même, et essayons par quelques interrogations discrètes d’apprendre de lui le secret de sa folie et de sa grandeur.

Les critiques modernes ont à diverses reprises découvert dans Don Quichotte bien des symboles ingénieux et bien des significations profondes. Quelques-unes de ces significations sont parfaitement fondées, d’autres restent plus douteuses. Il est très vrai par exemple que Don Quichotte, chevalier à une époque où il n’y a plus de chevalerie, représente l’enthousiaste rétrospectif, il est très vrai encore qu’il finit par symboliser le douloureux contraste qui existe entre les aspirations des âmes nobles et les platitudes de la réalité ; mais il est moins certain que ce livre représente la lutte des deux principes, ou qu’il faille prendre le chevalier pour le symbole de l’âme et son écuyer pour le symbole du corps. Nous écarterons donc toutes les significations arbitraires pour nous en tenir aux-plus apparentes, à celles qui frappent les yeux et s’offrent d’elles-mêmes à l’imagination la moins subtile. Elles sont encore très diverses, très nombreuses et très belles.

Don Quichotte est en effet le symbole de bien des choses, et d’abord il est la personnification même de son auteur. Nous ne voulons pas dire seulement par là que les déboires de Cervantes ont une grande analogie avec ceux de don Quichotte, et qu’on peut tirer de leurs deux existences la même triste et affligeante moralité. Ce mince gentilhomme, soldat du régiment de don Lope de Figueroa, estimé de don Juan d’Autriche et de ses supérieurs hiérarchiques à peu près de la même façon que don Quichotte par le duc et la duchesse, retenu par la pauvreté et la fatalité du sort dans les rangs inférieurs de l’armée et de l’administration, blessé à Lépante, captif chez les Maures, dévoué à ses compagnons d’infortune jusqu’à prendre leurs fautes à son compte et à détourner sur sa tête le châtiment qui les attend, bassement persécuté et recevant, pour prix de tant de grandeur d’âme, de courage et d’héroïsme, les bons témoignages

  1. Une autre partie de l’œuvre qu’il faut louer encore, ce sont les petits dessins qui ornent les têtes et les fins de chapitres, et qui en résument allégoriquement d’ordinaire les aventures et le sens. Il y a beaucoup d’esprit, souvent du plus ingénieux et du plus subtil, dans ces petites allégories gravées comme le reste de l’œuvre par M. Pisan, un artiste hors ligne dans ce genre si ingrat et si difficile de la gravure sur bois, et qu’il n’est que juste d’associer au succès du dessinateur.