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trop multipliées de don Quichotte finissent par fatiguer le lecteur et par produire sur lui la plus désagréable impression de monotonie. On peut défier qui que ce soit de lire Don Quichotte sans s’y reprendre à plusieurs fois. Comment donc le dessinateur, qui ne peut que nous faire voir don Quichotte et Sancho, échapperait-il au défaut que n’a pu éviter l’écrivain, qui à cependant la ressource non-seulement de nous les faire voir, mais de nous les faire entendre ?

À la vérité on peut dire que le Don Quichotte abonde en épisodes qui permettent à l’artiste de rompre cette monotonie ; l’histoire du captif, la nouvelle du curieux malavisé, le double épisode des amours de Lucinde et de Cardenio, de Dorothée et de Fernand, peuvent fournir des sujets de composition où don Quichotte et Sancho n’auront pas à figurer. Cela est vrai, et M. Doré s’est très habilement servi des ressources que lui offrait la composition décousue et légèrement défectueuse des derniers livres de la première partie de Don Quichotte. Qu’arrive-t-il cependant ? C’est qu’on est tenté de faire au dessinateur exactement le même reproche qu’on fait à l’écrivain, et de lui demander si c’est l’histoire du chevalier de la Manche qu’il illustre, ou un recueil de nouvelles amoureuses et romanesques. Tout à l’heure on se plaignait d’être ramené sans trêve et sans merci à don Quichotte et à Sancho Pança, maintenant on se plaint de ne plus les rencontrer. On cherche quel rapport ces images où sont représentés des hommes en turbans debout au bord de la mer et gesticulant avec passion, des cavaliers qui soutiennent dans leurs bras des dames pâmées d’effroi ou brisées de douleur, ont avec l’histoire de l’ingénieux hidalgo. Il y a mieux : dans les épisodes auxquels don Quichotte n’est mêlé que d’une manière indirecte, comme celui des noces de Gamache, on est désappointé et presque humilié de voir le chevalier figurer au second plan, et réduit au rôle de comparse. Ce type est tellement caractérisé que l’imagination a peine à l’écarter, même momentanément, pour regarder agir ou écouter parler d’autres personnages. Cervantes a commis cependant, me dira-t-on, cette impertinence envers son héros. Les derniers livres de la première partie du roman nous entretiennent de tout autres aventures que des aventures de don Quichotte. Oui, Cervantes a commis cette impertinence envers son héros, mais au détriment de son livre. Le lecteur, qui accepte d’abord docilement la compagnie de Cardenio, de don Fernand, de Lucinde et de Dorothée, finit par trouver que ces nobles personnages lui prennent trop de temps et réclame don Quichotte avec impatience. Or le dessinateur qui suit pas à pas le romancier, et qui donne à ces épisodes un peu parasites une aussi grande importance qu’aux autres parties