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bateaux de pêche, aux trawlers. Dans la Cornouaille, j’allais rencontrer d’autres appareils, le drift-net et la seine, ainsi qu’une tout autre configuration des côtes. Le banc de calcaire grossier, après s’être étendu, non sans plus d’une interruption, jusqu’à Plymouth, s’amincit peu à peu en s’avançant vers l’ouest, et ne tarde point à disparaître vers le milieu de Whitesand-Bay. Toute la région ayant été disloquée par d’anciennes convulsions géologiques, on y chercherait en vain cette succession régulière de couches qui se rencontre dans d’autres provinces de la Grande-Bretagne, et qui représente la série chronologique des événemens. S’il est un pays qu’on puisse comparer à la Cornouaille pour le désordre des roches, c’est notre Bretagne, dont les falaises s’élèvent pêle-mêle de l’autre côté du détroit. Ces bouleversemens, qui ont changé, déchiré, quelquefois même interverti la position normale et primitive des terrains, ajoutent après tout à la Cornouaille un aspect de grandeur et de variété. Ce dernier caractère éclate principalement dans la ceinture des falaises, sorte de forteresses naturelles qui luttent depuis des siècles contre la mer. Trois systèmes de roches ont marqué le littoral d’une empreinte particulière : la serpentine, qui règne au cap du Lizard ; le granit, dont les traits imposans se développent surtout au Land’s-End (fin de la terre) ; les masses ardoisières qui ont formé les sauvages promontoires de Boscastle et de Tintagel. Placés, j’oserais presque dire incrustés dans ces chaînes de falaises, les villages de pêcheurs se sont plus ou moins conformés, pour les habitudes et pour la manière de vivre, à la nature du paysage qui les entoure.


II

C’est par Helston, une petite ville qui s’élève aux abords des mines, dans un district demi-industriel et demi-agricole, que je gagnai le cap du Lizard. S’il faut en croire la tradition, le nom de cette ville indique assez qu’elle doit son origine à l’enfer[1]. — Un jour, dit la légende, le diable voulut se livrer à une de ses excursions favorites par monts et par vaux sur le territoire de la Cornouaille. Trouvant la bouche de l’enfer entièrement fermée par une grosse pierre, il emporta la pierre dans sa main et se mit à jouer avec elle, comme avec un caillou, tout en traversant le pays. Cependant il rencontra sur son chemin l’archange saint Michel, le patron de Helston ; un combat s’ensuivit entre les deux adversaires, et le diable, après avoir été vaincu dans la lutte, laissa tomber la pierre, posant ainsi les fondemens de la ville.

  1. Hell en anglais veut dire le séjour des damnés.