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la réflexion et l’imagination. Une entreprise dans ces conditions prend le caractère d’une idée fixe dont rien ne distrait, et que ne découragent pas les obstacles ; l’homme peut se tromper, l’entreprise avorter, mais la limite de ce qu’il peut et de ce qu’elle vaut est du moins atteinte.

Avec une responsabilité collective, comme celle d’une société et d’un corps constitué, l’effort est déjà moindre, le partage l’affaiblit, l’intérêt cesse d’être direct. Volontiers on s’en remet les uns aux autres du soin de remplir la tâche commune ; on a des faiblesses et des oublis ; on y va mollement, et non avec la pénétrante activité d’un seul engagé. Cependant, quand on a l’œuvre sous les yeux et l’opinion publique pour appui, l’esprit de corps supplée, égale quelquefois l’inspiration personnelle ; il engendre le dévouement et s’affirme par des sacrifices. Des sociétés libres par les mains de leurs comités, les communes sous l’influence d’un maire noblement animé, ont créé, soutenu, mené à bien d’utiles institutions. Même là, si l’on remontait aux origines, on trouverait un homme, plus actif, plus opiniâtre que les autres, sans lequel la semence eût dépéri. Cette responsabilité collective n’en est pas moins, à un certain degré, douée de vertu et pleine de ressort ; il faut d’autant plus l’honorer qu’elle est volontaire. En dehors et au-delà, il ne reste que la plus effacée et la plus inerte de toutes, celle de l’état, que l’on peut nommer la responsabilité anonyme. Elle l’est en effet ; à peine de loin en loin s’y rattache-t-il le nom d’un grand ministre qui passe ; elle s’anéantit par la dispersion, et d’une réalité qu’elle était dans l’individu, elle devient une abstraction dans l’état. La responsabilité a une limite et une mesure, c’est la liberté dont on jouit ; dans l’obéissance, elle ne va pas au-delà des devoirs imposés. Que s’ensuit-il ? C’est que l’effort n’est plus en proportion des facultés, et que l’activité s’émousse même quand le caractère ne décline pas. Pour l’homme, c’est une atrophie ; pour la communauté, c’est un préjudice, et il serait difficile de calculer la somme des énergies qui se perdent dans cette défaillance des volontés. La gradation est donc bien accusée. Avec la responsabilité directe, l’individu montre pleinement ce qu’il est : tout ce qu’il y a en lui de puissance est lié à l’acte qu’il accomplit ; avec la responsabilité indirecte, l’individu se ménage et se réduit, il ne porte à la fonction qu’un intérêt relatif, et presque toujours il demeure en-deçà des services qu’il pourrait rendre.

À l’appui de notre opinion, il serait facile d’établir que les découvertes dont le genre humain s’enorgueillit ont eu pour auteurs des esprits indépendans, plutôt entravés qu’encouragés dans leurs travaux ; c’est d’eux également que proviennent des découvertes