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un besoin nouveau. L’aisance qui gagne les régions moyennes comporte un degré de culture de plus, et l’encouragement le plus naturel est de mesurer les dépenses aux ressources. Entre l’école primaire et l’école secondaire, une combinaison était donc à imaginer qui fût moins que celle-ci et plus que celle-là. Dans cette vue, il allait de soi que les programmes fussent simplifiés et que la durée des cours fût renfermée dans de strictes limites. Quant aux langues mortes, elles pouvaient être ou éliminées ou ramenées à leurs premiers élémens. Dès qu’on vise à l’économie, les formes sommaires sont de rigueur, et le choix des matières a pour condition déterminante l’utilité immédiate. Jusque-là point de dissentiment ; un besoin se produit, qu’il y soit pourvu ; reste seulement à savoir par quelles mains ou dans quel mode. Il s’en présentait deux très distincts : l’un consistait à laisser ce besoin se prononcer assez vivement et sur une assez grande échelle pour que l’industrie particulière trouvât une convenance naturelle à le défrayer et y procédât librement, en variant les types suivant les lieux, les races et le genre d’activité. L’autre mode, et c’est parmi nous le plus commun, consistait à créer tout d’une pièce, au nom et aux frais de l’état, des cadres uniformes et artificiels pour des besoins à naître, encore mal définis et dont on n’a pas l’entière conscience. C’est à ce dernier parti qu’on s’est arrêté ; le génie administratif, peu délié de sa nature, s’exerce aujourd’hui sur une œuvre qui plus qu’une autre eût exigé toutes les souplesses du génie privé.

Il est à regretter que le ministre de l’instruction publique se soit mêlé à ce mouvement au point d’y figurer en première ligne. Autant que personne j’applaudis à la tolérance éclairée, à la droiture d’intentions, à la vigueur qu’il apporte dans la liquidation d’un héritage embarrassé ; mais il s’agit moins ici de la personne que de la fonction. Dans cette mêlée de projets éclos ou à éclore, il serait bon de s’entendre sur le rôle du chef de l’Université. À mon sens, il est avant tout le gardien des fortes études ; ce devoir prime les autres et quelquefois les exclut. Ces humanités que la tradition nous a léguées comme le meilleur aliment des esprits, il a charge de les défendre contre le caprice ou la raillerie, la mobilité des goûts et des intérêts ; il ne saurait voir d’un œil indifférent qu’on y touche et qu’on les mutile ; dans aucun cas, il ne devrait prêter les mains à ces remaniemens et à ces mutilations. Est-il d’obligation pour l’Université d’aller au-devant de toutes les velléités qui se déclarent, de leur donner de la consistance en y attachant son nom, de prendre tout à faire, au risque d’aboutir à des avortemens ? Non, son esprit s’y prête mal, sa dignité y répugne. Ces poursuites aléatoires sont du domaine de la spéculation libre, qui s’y engage isolément et