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(home missionaries) et d’asile pour les orphelins. Ces missionnaires ne sont point destinés à convertir les sauvages ; ils doivent, comme l’indique le mot home, rester dans leur pays et semer parmi leurs frères la parole évangélique. On les envoie prêcher à bord des vaisseaux ou des barques qui stationnent dans la baie. L’un d’eux, ayant, de l’avis des pêcheurs, dépassé dans ses discours la limite des convenances, fut dernièrement suspendu de ses fonctions. Pour se venger de cette disgrâce ou pour donner carrière à son zèle, il a bâti une nouvelle église sur la pointe d’une des falaises les plus élevées et de l’accès le plus difficile. Peut-être a-t-il voulu que son église, ainsi que le royaume des cieux, souffrit violence, et qu’on y montât par la voie raide et escarpée.

Je m’attendais à retrouver chez les femmes des pêcheurs anglais quelques-uns de ces costumes caractéristiques dont la vieille Hollande se montre si fière et si jalouse ; mais quel ne fut pas mon désenchantement ! Les cheveux lissés sur les tempes, relevés par derrière dans un filet, les femmes de Brixham, vêtues de robes noires à manches courtes, avec des jupes à volans, ressemblent, pour la coquetterie, aux ouvrières de Londres. Réunies par groupes, assises en face de la mer sur des débris de voiles, sur des mâts couchés à terre ou même sur des chaînes ou des ancres rouillées, elles s’occupent à tricoter des bas de grosse, laine bleue. L’une d’elles, la plus pauvre de toutes, autant que j’en pus juger par les apparences, avait deux enfans dans les bras, deux jumeaux. « Si du moins, me disait-elle, le ciel m’en eût donné trois à la fois, la reine m’aurait envoyé un cadeau de 3 guinées[1], mais de telles bonnes fortunes ne sont point faites pour les femmes de Brixham. Notre ville est condamnée ; les poissons s’en vont, et les enfans viennent beaucoup trop vite. » Je dois ajouter que la population de Brixham, hommes et femmes, accepte sans découragement l’épreuve de la mauvaise fortune. En somme, l’activité de la ville ne s’est point ralentie. Du côté du chantier pour la construction des navires, un bruit de scies et de marteaux porte au loin sur les vagues la bonne nouvelle du travail ; on élève un second môle, en avant du premier, pour abriter les vaisseaux, qui jettent maintenant l’ancre à découvert dans l’embouchure de la baie ; les manufactures de voiles et de filets, qui sont en grande partie dans la main des femmes, présentent des théâtres d’industrie des plus animés. Ces filets, connus sous le nom de trawls, impriment un caractère tout particulier à la pêche du Devonshire. Le trawl a de trente à soixante-dix pieds de long, et présente la forme d’un sac. On le promène au fond de la

  1. C’est en effet la coutume dans tout le royaume-uni.