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— En vérité, non, répondit Austin sans faire attention à cette dernière remarque… Mais, voyez-vous, on nous a élevés comme frère et sœur, miss Hilton et moi, continua-t-il avec quelque hésitation, et non sans rougir un peu.

— C’est donc pour cela qu’on m’a tant parlé de votre bonne amitié… Savez-vous que miss Cecil est bien belle ?

— Ah ! certes… Il n’y a pas deux avis là-dessus.

— Vous seriez-vous laissé prendre à tant de charmes ?

— Y songez-vous ? En si peu de temps ?…

C’est tout au plus si Austin put ajouter d’une voix contrainte : — J’espère bien être libre encore.

— Tant pis pour vous, mon bon Elliot !… Je vous aurais cru mieux avisé, repartit le capitaine.

Dans la longue lettre de condoléance qu’Austin écrivit le jour même à Eleanor, c’est tout au plus s’il faisait mention de miss Cecil, dérogeant ainsi à l’habitude qu’il avait prise de lui confier, à mesure qu’elles se succédaient, toutes ses fantaisies amoureuses. Miss Hilton se tenait à merveille dans son humble rôle, embarrassée seulement de se reconnaître au milieu de tant de péripéties diverses, et ne parvenant pas toujours à mettre sous leurs véritables noms les conseils prudens, les félicitations, les consolations qu’elle adressait tour à tour à ce « frère » volage. Ce fut cette fois lord Charles Barty qu’il choisit pour confident. L’épître où il lui peignait éloquemment les symptômes de sa passion naissante alla chercher son ami dans la capitale du Piémont, où le duc et la duchesse de Cheshire faisaient alors les préparatifs d’une véritable « campagne d’Italie » entreprise à la tête d’une armée de peintres et d’érudits. Lord Charles frappa du pied en lisant les périodes sentimentales de son imprudent camarade, et les plaça immédiatement sous les yeux de son père, qui prit à son tour un air très soucieux. Ce digne seigneur manquait d’esprit, — les Barty, généralement parlant, ne brillent pas de ce côté, — mais il avait au plus haut point, qualité bien autrement précieuse, un sentiment très élevé de droiture et d’honneur. Il déclara que dans cette affaire un blâme sérieux avait été encouru soit par M. Cecil, soit par miss Cecil, soit par Austin. Dans tous les cas, il fallait prévenir au plus vite ce dernier. Lord Charles, bien convaincu de ceci, aurait fait jouer le télégraphe, si le télégraphe eût existé en 1844 de Turin à Londres. Faute de mieux, il écrivit, et sa lettre, arrivée en temps utile, aurait eu l’effet le plus salutaire. Malheureusement, tandis qu’elle courait la poste, Austin passait la plus grande partie de ses journées avec miss Cecil dans de longs tête-à-tête que le capitaine Hertford mettait un soin perfide à leur ménager en accompagnant exactement M. Cecil, lorsque ce dernier allait faire, ses tournées agricoles. Certain jour