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— M. Cecil, notabilité parlementaire des plus éminentes, — frappé de la bonne mine d’Austin et surpris de le trouver si versé dans une foule de connaissances généralement étrangères à un étudiant de cet âge, l’invita gracieusement à débarquer avec lui sur la côte du pays de Galles et à venir passer une quinzaine dans son château situé parmi les montagnes de Merionethshire. Austin était un ambitieux en herbe ; il savait à merveille que parmi les chemins qui mènent aux grandeurs politiques, un des plus sûrs est d’être bien vu dans certains cercles ordinairement fort exclusifs ; mais il n’était nullement intrigant et savait aussi que pour être sur un bon pied dans telle ou telle maison, il faut y entrer par la grande porte, non s’y faufiler par quelque issue dérobée. C’est ainsi que depuis trois ans, malgré son amitié pour Charles Barty, — toujours développée à mesure qu’ils se connaissaient mieux, — il s’était soigneusement abstenu de paraître à Cheshire-House, où il se réservait d’arriver plus tard, sous un patronage plus imposant que celui de son jeune camarade. Dans de telles dispositions, les flatteuses prévenances de M. Cecil lui parurent une victoire de bon aloi. Présenté à ce grand homme depuis quatre jours, ils n’étaient que de la veille dans des termes un peu familiers, et vingt-quatre heures avaient suffi pour créer entre eux des rapports qui semblaient appelés à devenir de plus en plus intimes. N’y avait-il pas là de quoi lui monter la tête ? Ce fut donc pour lui une grande journée que celle où, dans la calèche de M. Cecil, à côté de ce personnage illustre, le jeune enthousiaste vit pour la première fois de sa vie se dérouler sous ses yeux cette imposante série de paysages que les montagnes seules peuvent offrir. Dérogeant à sa gravité habituelle, l’opulent propriétaire souriait aux élans d’admiration qu’Austin ne se donnait pas la peine de réprimer, et, — cela se voit souvent chez les ciceroni, — tirait de toutes ces splendeurs auxquelles il l’initiait une sorte de vanité paternelle. Ils arrivèrent ainsi à l’entrée du parc de Tyn-y-Rhaiadr (la Ferme de la Montagne) au moment où le soleil allait disparaître derrière le sommet du Snowdon. Austin ne pouvait détacher ses yeux de cette montagne sublime que l’ombre envahissait peu à peu, mais dont la cime couronnée d’une éblouissante auréole semblait le théâtre d’un vaste incendie. — Allons, allons, jeune homme, lui dit M. Cecil, qui venait de lui faire mettre pied à terre, marchons un peu, je vous prie !… Je compte vous montrer avant le dîner quelque chose de plus beau que tout cela…

Il voulait parler d’une admirable cascade tombant de cent mètres de haut, le long d’une pente de granit, au fond d’une espèce de faille perpendiculaire, formée par des rochers revêtus d’un taillis sombre ; mais ce fut d’une autre façon qu’il tint sa parole. En effet,