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George Hilton n’en ressentit pas avec moins de vivacité le dur châtiment que recevait ainsi, dans la personne de son unique fils, cette passion du gain, cette avidité désordonnée qui avait été l’unique mobile et presque l’unique vice de sa brillante, carrière. Atteint en plein cœur, il se cuirassa, le mieux qu’il put, refusa plusieurs mois durant, de voir l’enfant dont la précoce perversité lui causait de si cruelles angoisses, et ne le vit guère en effet de ce moment à celui de sa mort. Un révérend ecclésiastique, d’humeur accommodante et facile, entreprit l’achèvement de cette éducation si compromise par un désastreux début. C’était un homme intelligent et discret, fermant les yeux à propos, dissimulant volontiers les vérités désagréables : il s’était chargé de refaire en cinq ans, et moyennant mille livres sterling, la moralité avariée qu’on lui confiait. Au bout de ces cinq ans, passés dans une cure du comté d’Essex, à l’abri de toutes tentations, Robert reparut plus blanc que neige aux yeux du monde, avec un certificat de bonne vie qui le recommandait très suffisamment à la confiance des imbéciles. Notre vieil ami James Elliot, qui n’était pas de cette catégorie, conseilla expressément à son fils de ne pas renouveler connaissance avec son ancien camarade. Austin obéit ponctuellement, et comme George Hilton levait à de très longs intervalles la consigne qui retenait Robert hors de la maison paternelle, les deux jeunes gens n’eurent jamais occasion de se revoir après ce fâcheux départ d’Eton. Il en eût été tout autrement si le jeune Hilton fût rentré auprès de son père, car l’attachement d’Austin pour Eleanor poussait chaque jour de plus profondes racines, et il ne manquait guère une occasion de se trouver avec elle. Précisément à l’époque où il allait partir pour Oxford, Eleanor Hilton lui écrivit que la réconciliation de son père et de son frère venait enfin d’avoir lieu : ce dernier embrassait la carrière des armes, et sa commission était signée ; mais alors s’écroula le laborieux et fantastique édifice élevé par le révérend précepteur. Robert n’était pas au service depuis plus de trois mois, que de mauvais bruits commencèrent à circuler sur son compte. À ces rumeurs succédèrent des accusations formelles, accusations dont un conseil de guerre eut bientôt à connaître. Le dénoûment fut aussi prompt qu’il était inévitable. Robert Hilton fut honteusement chassé de l’armée.


III

James, Elliot, un jour qu’il remplissait à bord de son yacht officiel, et en compagnie de quelques-uns des lords de l’amirauté, je ne sais quelle mission administrative fort importante, nous devons le croire, imagina d’emmener son fils. Un de ces hauts fonctionnaires,