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terrible affaire des « fonds français, » — s’était resserrée de plus belle. Eleanor Hilton n’était pas ce qu’on appelle une jolie enfant, ses traits avaient quelque chose de trop particulier, de trop accentué pour cela ; mais nulle part on n’eût pu trouver créature plus douce, plus sensible et plus intelligente. Robert au contraire joignait à un entêtement remarquable une certaine violence de caractère. Il manifestait aussi un penchant naturel au mensonge, penchant illogique et capricieux, car il lui arrivait fréquemment de ne pas vouloir trahir la vérité pour échapper à quelque punition, et plus fréquemment encore de mentir sans aucun motif appréciable. Un autre vice, non moins fatal, devait se développer en lui ; mais ceci n’arriva que plus tard.

Quand Eleanor eut douze ans et Robert dix, ils eurent le malheur de perdre leur mère. Presqu’à la même époque Austin Elliot partit pour Eton, où Robert devait le suivre deux ans plus tard. Là se trouvait dans la même classe qu’Austin un certain lord Charles Barty, le fils puîné du duc de Cheshire. Tous deux étaient du même âge, et leurs traits offraient une vague ressemblance. Ils se lièrent rapidement et en vertu de ce puissant attrait que les nobles cœurs ont toujours eu l’un pour l’autre. À l’arrivée de Robert Hilton, Charles Barty, d’abord un peu jaloux de l’affection d’Austin pour ce camarade d’enfance, réagit bientôt contre un sentiment indigne de lui, et se constitua pour moitié le protecteur chevaleresque du nouveau venu. Malheureusement l’objet de cette protection fraternelle ne tarda point à montrer qu’il ne la méritait guère. Ses méfaits, d’abord légers, prirent assez vite un caractère plus grave. Trois mois après son entrée à l’école, Robert fut surpris un beau jour dans la chambre de Charles Barty, fouillant le pupitre de son camarade, que retenait dans les cours une partie de cricket vivement disputée. L’alarme aussitôt donnée, on fit dans les caisses du jeune déprédateur, une perquisition rigoureuse, et on y découvrit une grande partie des objets qui avaient disparu depuis son admission. Lorsqu’Austin, et Charles Barty rentrèrent en riant de leur partie de jeu, la mine venait d’éclater sous leurs pieds : leur protégé n’était en somme qu’un petit voleur. Pour sauver le mauvais garçon qu’ils n’aimaient plus guère, chacun d’eux eût sacrifié son bras droit ; mais désormais il était trop tard. Ils plaidèrent cependant pour lui les circonstances atténuantes, et firent valoir son extrême jeunesse auprès des élèves qu’il avait rendus victimes de ses larcins. Je n’ai pas besoin de dire comment leur requête fut accueillie, s’adressant à des cœurs anglais ; pas un des volés ne souffla mot, et Robert fut simplement renvoyé chez lui, pur de toute publicité déshonorante.