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REVUE. — CHRONIQUE.

besoin d’aller en Suisse pour écrire Guillaume Tell, M. Auber, qui n’est jamais sorti de Paris, a fait la Muette et le Domino noir. Ce qui manque à l’auteur de Mireille, c’est cette inspiration divinatrice, et en quittant la salle du Théâtre-lyrique le soir de la première représentation, je ne pouvais m’empêcher de m’écrier : « Vive Verdi ! Il y a plus de musique dramatique dans Rigoletto que dans toutes les œuvres de M. Gounod ! »

Si après avoir entendu Mireille au Théâtre-Lyrique on va à l’Opéra-Comique le jour où l’on donne Lara, on sera bien étonné : Lara, opéra-comique en trois actes, dit le livret, par MM. Cormon et Michel Carré, musique de M. Aimé Maillard. C’est le 21 mars qu’a eu lieu la première représentation de Lara, et le public a paru, dès ce soir, accepter cette œuvre, qui n’est, par le style, ni un opéra-comique ni un opéra comme on l’entend : c’est un mélodrame vigoureux où M. Maillard a fait preuve d’un vrai talent dramatique. M. Maillard, qui est né à Paris, je crois, a traversé l’école de Choron avant d’aller au Conservatoire, où ses études patientes lui firent remporter le premier prix de l’Institut. Revenu de Rome je ne sais en quelle année, M. Maillard a composé une dizaine d’opéras dont un seul, les Dragons de Villars, a obtenu un succès véritable qui dure encore. M. Maillard est un artiste de talent et un homme honorable qui vit loin des intrigues du monde pour conserver une indépendance qui lui est chère. Je ne puis aujourd’hui que dire quelques mots sur le mérite de Lara, dont le succès s’est raffermi depuis son apparition. Le sujet est tiré d’un poème de lord Byron, Lara, qu’on croit être la suite du Corsaire du même poète. Quoi qu’il en soit, la pièce de MM. Cormon et Michel Carré n’est pas sans intérêt, et on y trouve des situations et des caractères très favorables au compositeur. Dans ces trois actes de Lara, dont le dernier est interminable, on peut citer, non pas l’ouverture, qui n’est qu’un prélude symphonique, mais le chœur de l’introduction, qui a un rhythme vivant. Je ne puis louer sans restriction la romance que chante Ezzelin par la voix de M. Crosti :

Insoucieuse
De l’amour.
Folle et rieuse
Tour à tour,


car cette romance, comme beaucoup d’autres morceaux, est écrite dans un style syllabique dont la persistance produit l’ennui. Du reste, on sent dans tout l’ouvrage l’influence de Donizetti, d’Halévy, à qui M. Maillard a pris une marche chromatique dont il ne peut se dépêtrer ; enfin c’est à Verdi surtout qu’il a fait des emprunts. Il a imité par exemple jusqu’à satiété les effets d’unisson qui sont même insupportables dans les ouvrages nombreux du barde lombard. C’est au second acte qu’on trouve un petit chef-d’œuvre, — une chanson arabe que chante Caled, être mystérieux qui