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capitaux et l’extension de ses entreprises dans toutes les parties du monde lui tiennent amplement lieu de ces satisfactions que l’imagination d’autres peuples rêve ou cherche dans les expéditions militaires ou dans la propagande des idées. La plus grande crise intérieure que l’Angleterre ait à redouter, c’est le spectacle intéressant des luttes de partis, c’est la victoire d’un parti sur un autre, victoire qui s’accomplit par la substitution pacifique d’un nouveau ministère à un vieux cabinet. On s’était cru naguère à Londres à la veille d’un changement de scène de cette sorte. Le ministère, qui s’appuie sur une majorité peu considérable, était menacé d’un prochain et pénible échec auquel il n’eût pu survivre. Une question personnelle mettait en péril le cabinet : c’était la présence persistante de M. Stansfeld dans l’administration après le fâcheux éclat que venaient de recevoir ses relations avec M. Mazzini. Certes le caractère de M. Stansfeld était estimé comme son talent : personne ne supposait un instant qu’il fût mêlé, même indirectement, à de viles conspirations, on le considérait comme victime d’un accident ; mais un sentiment très vif de bienséance souffrait dans la société anglaise de voir qu’il ne prît pas son parti de bonne grâce, et qu’il ne sortît pas immédiatement, pour ainsi dire, du salon où était venue l’atteindre une éclaboussure très désagréable pour lui et pour ses voisins. Ce sentiment en s’irritant était monté jusqu’à l’impatience, et pour se défaire de cet hôte on eût bientôt congédié peu poliment les personnes de sa compagnie, c’est-à-dire le cabinet. Les clémentes vacances de Pâques ont arrangé tout cela. Pendant ce loisir, M. Stansfeld a compris qu’il ne suffisait pas d’offrir, comme il l’avait fait, sa démission ; il l’a donnée. Lord Palmerston a profité de l’occasion pour remanier un peu son ministère en le fortifiant. Le duc de Newcastle, ministre des colonies, était malade depuis longtemps ; désespérant d’un rétablissement prochain, il a donné sa démission. Si cette démission annonce une retraite absolue des affaires, le monde politique anglais éprouve une perte sensible. Quand il n’était encore que lord Lincoln, le duc de Newcastle avait fait avec distinction son apprentissage ministériel à l’école de sir Robert Peel. Il avait été sous lord Aberdeen, et pendant l’expédition de Crimée, ministre de la guerre. C’est lui qui fut chargé d’accompagner le prince de Galles dans son voyage aux États-Unis. C’était un ministre laborieux, d’un caractère ferme, d’opinions libérales très décidées, et son nom était prononcé parmi ceux des rares personnages que l’on considère comme pouvant être un jour premiers ministres d’un cabinet libéral. Le duc de Newcastle est remplacé par M. Cardwell, un autre élève favori de Peel, qui occupait déjà dans le cabinet la sinécure de la chancellerie du duché de Lancastre. En laissant cette sinécure vacante, M. Cardwell a permis à lord Palmerston d’obtenir une accession importante. Lord Clarendon a accepté la chancellerie de Lancastre et un siège dans le cabinet. Lord Clarendon est aussi, en Angleterre, de l’étoffe des hommes qui peuvent être premiers ministres, et l’on sait