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gnorez pas que cela signifie pour vous l’abandon et le désespoir. Et vous. Russes et Prussiens, quand on rejette sur vous le poids écrasant de la responsabilité de vos refus, vous savez bien que vous pouvez être tranquilles, et que vous restez maîtres d’agir comme bon vous semblera. On voit que l’anarchie est bien plus haut que ne l’avouait lord Derby : elle est dans les élémens du gouvernement supérieur de l’Europe, elle est dans la question des alliances.

Les alliances ! tous les esprits élevés sentent en Europe que là est la question considérable, grave, décisive du moment. En dehors de cette question, tout dans la politique européenne n’est que hasard, jeu, intrigue, surprise, violence. La conférence qui va se réunir à Londres n’a de chances de succès que si, au-dessus des questions locales qu’elle agitera, il se reforme un système d’alliances. On n’est point à l’aise dans la presse, nos lecteurs le comprendront sans peine, pour traiter au point de vue de la France cette grave et délicate question. On n’y est point assez libre pour indiquer par exemple les conditions du rétablissement de l’alliance active de la France et de l’Angleterre. Nous avons signalé ici depuis longtemps le point de rencontre qui doit se présenter à la marche des affaires étrangères et au développement libéral de notre vie politique intérieure. Notre politique étrangère et notre politique intérieure, quoi qu’en puissent penser les frivoles et ridicules codini de l’absolutisme, sont solidaires l’une de l’autre. Pour que la France ait au dehors la sécurité de sa situation et la franchise du grand rôle que cette situation lui impose, il faut qu’elle jouisse à l’intérieur d’une vie complètement libérale. Le libéralisme pratique appliqué dans ses institutions peut seul lui acquérir au dehors cette confiance sans arrière-pensées qui est la condition des alliances efficaces et durables. Mais nous abandonnons volontiers à nos députés libéraux le soin d’exposer les rapports qui doivent exister entre notre politique étrangère et notre politique intérieure. Ils jouissent de franchises de langage qui nous sont refusées ; puis la prochaine discussion du budget leur offrira l’occasion naturelle, que, nous l’espérons, ils ne laisseront point échapper, de traiter la question étrangère avec l’ampleur et le sérieux qu’elle comporte.

Nous croyons ne pas nous tromper en montrant dans le système des alliances le point par lequel la question étrangère peut être utilement abordée en ce moment. Que si l’on entreprenait de discuter les solutions qui peuvent être données à la question danoise, on irait se perdre dans une confusion ennuyeuse et stérile. C’est à la conférence de débrouiller, si elle le peut, ce chaos. On disait que la conférence se réunirait sans bases ; le défaut et le péril de ce petit congrès spécial seront au contraire d’avoir trop de bases. Chacun s’y présentera avec la sienne. L’Angleterre y entre avec le principe de l’intégrité de la monarchie danoise, qui, à en croire lord Russell, serait encore accepté par l’Autriche et par la Prusse. Le Danemark, au principe de l’intégrité formulé dans le traité de 1852, ajoute