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berg, s’éteindre en de stériles conférences. Si lord Derby eut voulu mettre le doigt sur le point vif de la situation, les aveux du comte Russell venaient de lui faire beau jeu. Avec cette placidité candide qui parfois le distingue, lord Russell venait de faire le compte en partie double de la France et de l’Angleterre par rapport à la Pologne et au Danemark. L’an dernier, l’Angleterre n’a pas adhéré à la politique proposée par la France dans la question polonaise ; la France voulait envoyer une note identique à la Russie et concerter des moyens d’action, si la Russie refusait. L’Angleterre préféra le système autrichien, qui consistait à laisser peser sur la Russie la responsabilité de son refus : elle déclara franchement à la France qu’elle ne jugeait pas convenable de faire la guerre pour la Pologne. De là mécontentement de la France, qui a de grandes sympathies pour la nation polonaise, catholique comme elle. Cette année, c’est le tour du Danemark. L’Angleterre a de grandes sympathies pour le peuple danois ; c’est un peuple vaillant, un peuple maritime, un peuple protestant comme l’Angleterre. La sympathie que la France a pour la Pologne, l’Angleterre l’a pour le Danemark, et « de même que l’année dernière, dit lord Russell, nous avons refusé de nous unir à la France dans une proposition relative à la Pologne, de même la France a refusé de s’unir à nous dans une proposition relative au Danemark. Nous n’avons à cet égard aucun reproche à faire à la France. » Voilà un compte admirablement balancé : la France et l’Angleterre se donnent là un glorieux quitus ! Et, pour que le parallélisme des deux conduites se poursuive jusqu’au bout, lord Russell ne dédaigne pas de nous emprunter la formule que nous avons mise à la mode l’année dernière à propos de la Pologne. Nous avons répété à satiété que la question polonaise était une question européenne, et que la France n’entreprendrait rien pour la résoudre, si les autres puissances n’agissaient pas dans la même mesure qu’elle-même. Lord Russell trouve la formule merveilleuse, et la répète à propos du Danemark avec une égale conviction : « S’il faut défendre le Danemark au nom des intérêts et de l’équilibre de l’Europe, il est nécessaire que les puissances européennes s’unissent pour cet objet ; ce n’est pas à l’Angleterre d’entreprendre seule cette grande tâche. » La diplomatie a inventé depuis un an deux formes de langage dont la France et l’Angleterre se sont chargées à l’envi d’apprendre au monde le sens prodigieux. Désormais, quand on épousera la cause d’un peuple ou d’un état, sans avoir cependant le dessein de passer du plaidoyer aux mesures actives, on dira à ce peuple ou à cet état : Votre affaire est européenne, et je ne peux m’y engager à un autre titre et dans une autre mesure que les autres puissances européennes. Lorsque d’un autre côté on adressera des remontrances à un gouvernement sans avoir l’intention de donner à ses réclamations une sanction pratique, on préviendra cette puissance qu’on lui laissera la responsabilité de son refus. Ainsi, Polonais et Danois, quand on élève vos justes intérêts à la hauteur d’une question européenne, vous n’i-