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des esplanades entourées de bâtimens magnifiques. La mer est le grand médecin des Anglais ; c’est à elle qu’ils demandent la santé, le renouvellement des forces, le repos de l’âme après une année de fatigues. C’est ainsi que Sidmouth, Exmouth, Dawlish, Teignmouth, Torquay, Ilfracombe et d’autres villes du Devon, répondant à ce besoin impérieux, sont devenues, malgré une distance assez considérable de Londres, les grands rendez-vous de la société qui ne s’arrête point à Hastings ou à Brighton. Dans ces modernes cités, qui ont surgi en quelque sorte du sein de la mer avec leurs orgueilleuses falaises couronnées de villas et de palais, la richesse, la mode, les plaisirs ont imprimé depuis quelques années au commerce une impulsion vraiment merveilleuse. Il s’est formé ainsi un brillant milieu où l’on ne s’occupe guère des pêcheurs. C’est pourtant sur cette classe d’hommes naïfs, courageusement utiles et trop souvent victimes des perfides beautés de la mer, que je voudrais appeler cette fois l’attention. Entre eux et les mineurs[1], on remarque comme un air de famille : les uns et les autres vivent souvent dans les mêmes villages, réunis par le lien des dangers, des austères devoirs et des mœurs simples qui commandent le respect. La pêche sur les côtes de l’ouest se distingue par des traits particuliers qu’il importe d’étudier successivement : le caractère des roches sur lesquelles reposent les hameaux, la nature des filets, enfin le genre des poissons qui visitent le rivage. Parmi ces derniers, il en est un qui appartient bien à la Cornouaille, c’est le pilchard. À cet obscur habitant des mers, peu connu même dans la Grande-Bretagne, se rattache pourtant une branche d’industrie très considérable qui donne à des populations entières du pain et du travail.

I

Avant d’entrer dans la Cornouaille, je m’étais arrêté à Brixham, une ancienne ville de pêcheurs, située sur les côtes du Devonshire, près du bassin de Torbay. Assise, ou, pour mieux dire, pelotonnée au fond d’une vallée qui s’ouvre sur la mer, elle forme à peu près un long parallélogramme dominé par de hautes falaises de calcaire grossier riches en minerai de fer qu’on extrait journellement pour le commerce. Les maisons, trop pressées dans ce pli de terrain et s’étendant à près d’un mille, ont dû se répandre avec le temps sur les collines environnantes qui enferment le port. Quelques-unes font à droite et à gauche l’école buissonnière sur les hauteurs ; blanches et pointues par le toit, elles ressemblent de loin à des oiseaux de

  1. Voyez la livraison du 15 novembre 1863.