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dans ce district, le plus aimable est encore ce vallon d’Elos, où nous arrivâmes par une belle soirée d’octobre. Au fond court une petite rivière que bordent des deux côtés ici des plantations d’oliviers, là des pâturages marécageux où pousse, parmi les tamarix et les hautes bruyères, une herbe épaisse et parfumée. Plus haut, aux deux flancs des collines, se tordent et s’étalent de grands marronniers, dont les énormes racines s’abreuvent à de nombreux et rapides ruisseaux. L’automne est venu, les fruits sont mûrs, et parmi le bois, lentement, la tête penchée et les yeux fixés au sol, écartant du pied les feuilles mortes, les femmes et les enfans vont cherchant les châtaignes tombées à terre ; à l’ombre des arbres les plus touffus se cachent les maisons dispersées dans la forêt. À la lumière près, ici plus joyeuse et plus brillante, on dirait un site de l’Occident ; on se croirait en septembre au milieu des grands bois de marronniers du Limousin et de la Marche, près d’un de ces pauvres hameaux pour qui les châtaignes remplacent pommes de terre, viande et pain, et forment pendant de longs mois toute la nourriture du paysan.

À une heure d’Elos, on quitte l’éparchie de Kissamos pour entrer dans celle de Selino, qui occupe tout le sud-ouest de l’île. On cesse peu à peu de voir des châtaigniers ; mais on traverse de magnifiques bois d’oliviers. Ni dans cette Attique, où la lance de Pallas fit naître pour sa cité chérie l’arbre sacré, ni sur les coteaux de Tivoli, d’Amalfi ou de Sorrente, ni dans ces merveilleux jardins qui entourent Palerme d’une si riche couronne de feuillages et de fleurs, nulle part, ni en Grèce, ni en Italie, ni en Sicile, je n’ai vu oliviers comparables à ceux de Selino, pareil air de force et d’élégance, troncs aussi massifs, rameaux aussi hardiment élancés et plus chargés de fruits. Comme ces oliviers, dont les plus hautes branches atteignent ici sans effort la cime des noyers ou des châtaigniers voisins, prendraient en pitié, s’ils pouvaient les voir, nos pauvres petits oliviers de Provence, si frileux, si souffreteux, et qui semblent avoir peur de grandir, qui rendent si laides et si tristes les collines de Montpellier et de Béziers ! Ici c’est l’homme qui manque à la nature ; de ces beaux fruits que la terre porte presque sans culture, le paysan crétois ne sait extraire qu’une huile de qualité très inférieure, à laquelle on ne s’habitue point sans effort. Tout ce que la Crète exporte d’huile pour Marseille et Trieste est destiné à l’industrie ; nos palais ne pourraient supporter l’âcreté d’un liquide mal préparé, auquel les olives pourries, que l’on jette avec les autres dans le pressoir, donnent un goût rance et une odeur désagréable.

C’était, quand nous traversions ces campagnes, le moment de la