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Vous n’en vivrez pas moins en nous profondément,
Et pas moins n’en serez, sans perte d’un moment,
Les tendres compagnons de nos pèlerinages ;
Nous vous invoquerons et vous nous répondrez,
Comme au temps du sommeil, en des rêves dorés,
Le faisaient si souvent vos vivantes images.

En vain le vif éclat des célestes beautés,
L’épanouissement des saintes vérités
Nous jetteront l’esprit en extases sublimes ;
Ce vaste enivrement ne saurait amoindrir
Et ruiner en nous le puissant souvenir
Des ivresses du cœur aux régions infimes.

L’esprit ne doit-il pas toujours de plus en plus
S’épurer ? Comme lui, les souvenirs accrus
Le feront, et, laissant sur notre humble planète
La plus grossière part des doux accouplemens,
Ils ne retraceront en nos entendemens
Que les plus purs instans de l’union parfaite.

De là, chers adorés, d’indestructibles nœuds,
Augmentant, redoublant leurs serremens joyeux
À tout avènement d’existences nouvelles ;
Car, une fois entrés en nous, les amours vrais
N’en doivent plus sortir, ni s’éteindre jamais,
Étant du grand amour les divines parcelles.

O maître de Florence, ô sublime voyant
Dans les choses du ciel, ô Dante, maintenant
Je comprends mieux les faits de ton allégorie :
Pourquoi tu mis aux champs de l’expiation
La fontaine Eunoë, cette onde ayant le don
De ne vous rappeler que le bien de la vie ;

Pourquoi, dès que ton âme eut purgé ses erreurs,
Et d’un éther plus haut aspiré les fraîcheurs,
Tu retrouvas soudain ta chère Béatrice,
Et pourquoi la beauté de l’être ravissant,
Ainsi que ton amour, allait toujours croissant,
Plus vous montiez tous deux vers l’âme créatrice…

AUGUSTE BARBIER.

Fontainebleau 1863.