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les idées et tous les faits dans une harmonieuse et complète synthèse. Cette doctrine, qui séduit aujourd’hui beaucoup d’esprits, a été une réaction contre la métaphysique, et cependant elle est obligée d’emprunter quelque chose à son ennemie. L’idée de la persistance de la force, la notion de la mesure, inséparables de toute investigation scientifique, n’ont d’appui véritable que la métaphysique. La science positive a beau relier par ses chaînes les plus serrées tous les termes du problème dont elle poursuit la solution, elle arrive forcément à des termes qu’elle ne peut ni saisir ni définir. Elle ne refuse plus de prononcer les noms de substance, d’infini, d’absolu : en les reléguant au-delà des bornes de ce que nous pouvons atteindre, elle les laisse toutefois apercevoir derrière les phénomènes tangibles, comme une lampe qu’on voit briller derrière les étoffes les plus épaisses. Elle laisse peser sur l’édifice entier de ses constructions le poids écrasant de l’inconnu. Il nous a paru qu’il y avait quelque chose d’original et je dirais volontiers de poétique dans cette forme nouvelle sous laquelle apparaît aujourd’hui une doctrine qu’on a quelquefois, et à bon droit, pu accuser de sécheresse et de dureté. M. Comte ne reconnaissait d’autre dieu que l’humanité elle-même ; mais ses disciples rehaussent aujourd’hui l’idée de la divinité jusqu’à la rendre inaccessible. Ils regardent l’âme et le corps, l’esprit et l’atome comme les ombres fuyantes de l’absolu ; ils étudient patiemment l’œuvre des forces, soumises à des lois invariables ; mais ils considèrent ces forces comme une émanation d’une activité dont la loi doit nous échapper. Ils tendent ainsi leur main à la foi et s’unissent avec elle dans l’adoration, pour eux raisonnée, pour elle naïve, du mystère éternel. C’est dans la philosophie positive une évolution remarquable, et dont l’honneur, quelques réserves qu’on doive faire sur le fond de la nouvelle doctrine, appartient à l’esprit anglais.


AUGUSTE LAUGEL.