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comprendrait toutes les autres dans son unité grandiose. Ainsi dans des dessins inachevés, dans des études incohérentes, l’artiste prépare les élémens d’une vaste composition. Personne ne possède des connaissances assez encyclopédiques pour élever aujourd’hui le monument de la science générale, et ce monument même pourrait-il être bâti dès à présent, il ne se composerait que d’ailes détachées, élevées aux hauteurs les plus diverses, et semblerait une ruine au moment même où il serait terminé. Seulement notre époque amasse du moins les matériaux de ce grand ouvrage, elle en prépare le plan ; elle élargit les limites des sciences particulières et cherche tout ce qui les unit. La notion de la persistance de la force lui donne en quelque sorte une clé pour passer de l’une à l’autre. La science idéale serait celle qui ferait dériver naturellement tous les phénomènes de ce principe fondamental. Dès aujourd’hui, il est néanmoins permis et il est même utile de coordonner les faits déjà connus en les groupant autour de ce principe. C’est ce que tente M. Spencer, et les grands ouvrages qu’il annonce montreront s’il réussira dans cette tâche difficile. M. Spencer se propose, on l’a vu, de traiter successivement de la biologie, de la psychologie, de la sociologie et de la morale. Ce programme semble assez logique, si on admet avec lui que la vie, sujet de la biologie, est une métamorphose des forces physico-chimiques, et que les forces mentales, sujet de la psychologie, sont une métamorphose de la vie, car les forces sociales, dont s’occupe la sociologie, ne sont que l’agrégation des forces individuelles ; enfin les lois de la morale se rattachent à la fois à celles de la biologie, de la psychologie et de la sociologie, la morale devant préserver à la fois le corps humain, l’âme individuelle et la société.

Un tel système est-il matérialiste ? est-il spiritualiste ? Voilà la question que se pose à lui-même M. Spencer ; il pressent que la majorité de ses lecteurs pencheront à considérer ses doctrines. « comme entachées de matérialisme, et se défend d’avance avec énergie contre une telle imputation. Il rappelle que la matière et la force, telles que la science les considère, ne sont que des réalités relatives, des symboles en quelque sorte d’une réalité absolue.


« Ainsi (dit-il) les raisonnemens contenus dans ces pages ne prêtent d’appui à aucune des hypothèses antagonistiques relatives à la nature dernière des choses. Ils ne sont pas plus favorables au matérialisme qu’au spiritualisme, au spiritualisme qu’au matérialisme. Tout argument qui semble favorable à l’une de ces deux causes est neutralisé par un aussi bon argument fourni à la cause contraire. Si je fais voir au matérialiste, comme une déduction nécessaire de la loi de corrélation, que ce qui existe dans la conscience sous forme de sentiment peut être transformé en son équivalent