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Les choses se passent, devrait-on dire, comme si les atomes s’attiraient, ou se repoussaient : pour la commodité du langage scientifique, on ne laisse pas dans les formules la trace de ces prudentes réserves ; mais les esprits philosophiques ne les oublient jamais, et savent que derrière les découvertes les mieux établies, les plus solides de la science, se dresse encore l’inconnu. Le demi-savant montre orgueilleusement le trésor de ses observations ; le vrai savant se trouve toujours pauvre au milieu de toutes ses richesses. Newton, qui formula la loi de l’attraction universelle, laissait planer un doute sur l’attraction. Quand on arrive sur les sommets les plus élevés de la science, on découvre de nouveaux et toujours plus vastes horizons, dont on ne peut pénétrer les lointaines profondeurs. Temps, espace, matière, force, toutes les notions fondamentales de la science échappent à l’analyse et à la définition, car toutes ces notions ne sont après tout que des formes particulières de cet infini que la religion considère dans son mystérieux ensemble, sans chercher à le diviser ni à le décomposer. On arriverait alors à douter de l’œuvre de la raison humaine, cherchant à comprendre la raison universelle, si en dehors de ce que la raison découvre on n’entrevoyait d’autres horizons.

Quand Goethe montre Faust détournant son pâle visage des livres où il a en vain cherché le secret de la nature et demandant à l’amour une intuition plus vive, plus ardente de l’infini, il exprime poétiquement une éternelle vérité, car si notre passion du vrai doit toujours rencontrer d’infranchissables limites et rester soumise à d’humiliantes déceptions, l’amour et la foi nous donnent comme une vision du divin, que l’analyse, il est vrai, tend à combattre, mais qui flotte comme un nimbe autour des âmes capables de s’oublier elles-mêmes et de se livrer tout entières.


II

Si la réalité absolue que le monde nous voile doit rester fatalement inconnue à la science aussi bien qu’aux religions, où donc doit viser l’esprit humain ? Quel but doit-il assigner à ses laborieux efforts ? Après avoir tant démoli, ne trouverons-nous pas à édifier quelque chose ? Descendons pour cela des hauteurs vertigineuses de l’ontologie ; spectateurs modestes, contentons-nous de regarder autour de nous ; placés au milieu des phénomènes, ne songeons plus à scruter l’essence des forces qui les déterminent, ni la substance qui est l’éternel jouet de ces forces. Examinons s’il n’y aurait pas quelque relation constante entre les divers termes de ces phénomènes, quelque règle qui en fixe le développement : la découverte de ces