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dire, à reconnaître qu’une seule force est capable de produire tous les genres de mouvemens connus ; mais, arrivés à ce point, quand nous nous demandons : qu’est-ce que la force ? nous ne savons vraiment que répondre. Dire que c’est la cause du mouvement, c’est s’enfermer dans un cercle vicieux, ce n’est pas définir la force en elle-même. Si nous cherchons à en pénétrer l’essence, soit en analysant ce qui se passe dans le moi, soit en regardant hors de nous, nous ne pouvons y réussir. Nous sommes nous-mêmes des forces, mais nous ignorons ce qui nous constitue tels. On ne peut plus regarder les forces comme des entités extérieures à la substance et indépendantes ; elles ne sont point pareilles à l’ouvrier qui pétrit une argile ; il n’y a point de force sans quelque chose de fort. La substance qui transmet une certaine quantité d’énergie mécanique en subit elle-même le contre-coup ; c’est ce qu’on exprime en mécanique en disant qu’il n’y a point d’action sans une réaction égale et en sens contraire.

La substance est donc à la fois active et passive, et il n’y a aucune portion de la substance, si atténuée qu’on l’imagine, qui ne puisse à la fois déployer cette activité et manifester, cette passivité. La molécule, l’atome, l’infiniment petit matériel seraient-ils donc des espèces de monades vivantes, des ressorts toujours tendus et toujours prêts à se détendre ou à se resserrer ? Si petite que soit d’ailleurs une portion de la substance, tant qu’elle a des dimensions, des parties, on ne peut comprendre comment ces parties peuvent conserver leur équilibre momentané, s’il n’est maintenu par certaines forces attractives ou répulsives ; mais la même chose peut se dire de chacune de ces parties : l’on se trouve ainsi amené de proche en proche à fixer des forces sur des points sans dimensions, conception qui choque la raison, et qu’elle est obligée de repousser. On peut dire, il est vrai, que la force immanente dans une portion quelconque de la substance matérielle est d’autant plus insensible que cette portion est plus réduite, et qu’elle expire au moment même où l’on suppose que les dimensions de la particule corporelle viennent à s’anéantir ; mais comprendre ainsi les choses, c’est identifier encore plus complètement la substance à la force, c’est les marier si intimement qu’elles ne fassent plus qu’une seule et même chose, c’est affirmer implicitement que toute substance est un réservoir d’énergie et une source d’activité. Cette conclusion, où l’on se trouve invinciblement poussé, n’en a pas moins quelque chose qui trouble et déconcerte l’esprit. On parle de forces répulsives et attractives, mais on ne comprend pas qu’un atome matériel puisse attifer ou repousser un autre atome matériel.. Attirer, repousser impliquent une activité trop libre, je dirais volontiers trop humaine.